LONDRES / ROYAUME-UNI
La rétrospective met en valeur le travail noir et blanc du photojournaliste de guerre, qui a saisi de manière aiguë la pauvreté de la société britannique et restitué la violence des conflits de la seconde moitié du XXe siècle dans le monde.
Londres. Don McCullin est le premier photojournaliste à bénéficier d’une exposition à la Tate Britain de son vivant. Elle fait suite à l’importante acquisition de tirages par l’institution en 2012 et au travail mené par Simon Baker (alors conservateur pour la photographie à la Tate) dans les archives du photographe, chez lui à Batcombe, dans le Somerset. Mais, bien avant la Tate, le Victoria and Albert Museum lui avait consacré en 1980 une vaste monographie, la première du genre. Les expositions suivantes ont le plus souvent bâti leur propos sur ses célèbres reportages de guerre. On les retrouve cependant à la Tate Britain dans une articulation inédite. L’accrochage s’organise en effet par pays ou, pour l’Angleterre, par quartier de Londres ou par région, des territoires couverts à différentes reprises. Aux premiers travaux publiés dans l’hebdomadaire The Observer entre 1959 et 1962 succèdent ainsi : Berlin, Chypre, la République du Congo, Vietnam, Cambodge, l’East End de Londres, l’Irlande du Nord… jusqu’à ses somptueux paysages du Somerset aux cieux tourmentés placés face à « Southern Frontiers », un projet mené depuis treize ans sur les ruines romaines du bassin sud-méditerranéen.
Les grands conflits dans le monde lors de la deuxième moitié du XXe siècle et les laissés-pour-compte de la société anglaise dominent la sélection des 296 épreuves présentées. Seuls les tirages en noir et blanc ont été retenus. Les mêmes photographies en couleurs, ou les reportages pour la presse dont elles sont issues, font l’objet d’une projection à mi-parcours, dans une salle distincte, et leurs parutions dans les magazines sont limitées à quelques doubles pages ou couvertures présentées sous vitrine dans une pièce attenante. Un parti pris visant à concentrer l’attention du spectateur sur l’image, la force de son contenu et la constance d’un regard juste, qui touche et rend palpables aussi bien la violence des combats, la mort, la douleur, la faim, la misère, que la beauté d’une nature morte ou d’un paysage au crépuscule.
Le silence recueilli dans les salles témoigne de la force des photographies. Le temps n’a pas atténué l’intensité des images prises au plus près des corps, des visages, des mains. L’homme en guenilles dormant sur un trottoir jonché de détritus du quartier de Spitalfields à Londres a toutes les apparences d’un cadavre sur un champ de bataille. La gamme sombre du tirage répond au désespoir, à la lutte, mais elle met aussi en valeur la beauté d’une lumière sur des mains comme sur des champs gorgés d’eau ou couverts de neige. La large place accordée aux récits de McCullin, à ses explications détaillées parfois pour telle image, iconique ou non, dresse le portrait en creux de l’homme indissociable du photographe.
À 83 ans, Don McCullin continue d’aller sur le terrain, de tirer ses images et de les classer non par pays ou thème mais en fonction de la qualité de l’épreuve. Sa démission en 1984 du journal The Sunday Timesà la suite de la reprise du titre par Rupert Murdoch l’a poussé vers une vie de photographe indépendant. S’il a poursuivi ses voyages en Inde, il a entamé un travail de paysage et de nature morte. Son approche de la nature et des ruines antiques, de Palmyre notamment, photographié une première fois en 2006 puis en 2017, porte la main de l’homme, son inscription, sa trace.
« Je n’ai pas choisi la photographie, il semble que ce soit elle qui m’ait choisi, mais j’ai été loyal en risquant ma vie pendant cinquante ans », rappelle Don McCullin en exergue de l’exposition. Des publications dans l’Observer jusqu’à la photographie de Homs en ruine prise en 2018 et placée en fin de parcours, cette loyauté innerve ses images, son itinéraire, ses choix. Le photographe élevé Sir Donald par le prince Charles en 2017 pour ses « éminents services rendus à la photographie » n’a jamais renié ses origines populaires, sa jeunesse passée dans le quartier pauvre de Finsbury Park où il est né en 1935. Il sait aussi ce qu’il doit au portrait des Guvnors en habits du dimanche pris un jour de 1958 dans un immeuble en ruine de ce quartier, pierre angulaire de son basculement dans la photographie. Quand il prend en photo ses anciens camarades d’école, il travaille encore au studio d’animation Larkins. Après l’assassinat d’un policier quelques mois plus tard lors d’une bagarre entre les Guvnors et une bande rivale, l’image prend un autre sens. Encouragé par ses collègues, McCullin ira la montrer à l’Observer. « À lui tout seul, ce cliché a changé ma vie », aime-t-il à rappeler. Sa publication le 15 février 1959 marquera le début d’une longue carrière au sein des plus prestigieux titres de la presse britannique, mais surtout lui permettra de donner libre cours à cette « passion dévorante » qui l’inscrit dans l’histoire de la photographie.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : La Tate Britain célèbre Don McCullin