LIÈGE / BELGIQUE
Liège présente une rétrospective de l’œuvre de cet artiste souvent associé au surréalisme pour ses représentations oniriques.
Liège (Belgique). Des femmes telles de diaphanes statues de chair figées dans une nuit sans fin, des quais de gares éclairés par des lampes à gaz, des ruines antiques découpées sous le clair de lune, des squelettes et des savants. Il y a tout cela dans la grande rétrospective consacrée au peintre Paul Delvaux (1897-1994) à La Boverie. Il y a tout cela et bien plus. Un des grands mérites de l’exposition est d’aborder toute la carrière de l’artiste de sa première toile en 1920 à sa dernière en 1986, ce qui permet d’évaluer son évolution et ses influences.
La première surprise est de découvrir les œuvres des années 1920 et 1930, quand Delvaux cherchait encore son style et son expression picturale. Des couleurs plus chaudes dans les jaunes et les oranges, une touche plus expressionniste, des scènes de foule habillée. L’autre bonne idée est de replacer son évolution dans le contexte artistique de son époque et de mettre certaines de ses toiles en vis-à-vis avec quelques-unes de ses influences, comme Ensor ou De Chirico. On peut voir dans Le Couple, un portrait de 1931 avec ses deux personnages centraux se détachant sur des silhouettes esquissées, l’influence de Permeke, mais aussi celle de Gustave de Smet.
Progressivement Delvaux va mettre en place son univers fantasmé à partir des éblouissements et des émotions liés à l’enfance. La Vénus endormie (1932) est une pièce charnière, inspirée par une figure de cire du Musée Spitzner qui avait fasciné le jeune Paul Delvaux quand il l’avait découverte à la Foire du Midi à Bruxelles. Si les personnages endimanchés, clients de la baraque foraine, peuvent faire penser au réalisme folklorique d’un Edgard Tytgat, la représentation de la jeune femme endormie est caractéristique de son art. En affinant son trait et ses couleurs dans un classicisme distancié, Delvaux donne aux personnages féminins une place prépondérante. Souvent associé au surréalisme, il a pourtant entretenu des rapports réservés et ambigus avec les artistes du mouvement. Les affinités existent, certains verront même dans un détail de la toile Le Récitant (1937) une allusion au Viol peint par Magritte en 1934. Pour sa part, l’artiste a toujours soutenu que l’étiquette « surréaliste » lui a été collée par convenance, mais qu’avec sa peinture il cherchait avant tout des « climats poétiques ». S’il a confié partager avec les surréalistes la liberté de transgresser la logique rationnelle, il a en retour été traité avec une froideur hostile par les membres du groupe surréaliste bruxellois.
Delvaux apparaît aujourd’hui hors du temps et, comme il s’est toujours montré très réticent à « expliquer » ses toiles, celles-ci soulèvent toujours des questions. Si son œuvre peut aujourd’hui apparaître assez lisse, certaines peintures ont suscité la polémique lors de leur première présentation publique. Dans La Visite (1939), un jeune garçon nu entre dans une pièce où une femme, nue aussi, attend sur un tabouret. Prémices à une initiation ? Dans les années 1950, il proposera une série d’images liturgiques où les personnages bibliques étaient remplacés par des squelettes. Delvaux balaiera toute idée de blasphème en affirmant avoir simplement voulu proposer « autre chose ». Le mystère demeure. Ce qui ne serait pas pour lui déplaire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : L’énigmatique Paul Delvaux