Le Palais Lumière invite à découvrir des aspects méconnus de l’œuvre de Paul Delvaux en entremêlant la vie et l’œuvre du peintre qui s’avèrent très liées.
Évian. C’est un Delvaux (1897-1944) intime que nous invite à redécouvrir le Palais Lumière d’Évian, vu à travers le prisme d’une collection : celle du vétérinaire Pierre Ghêne qui a réuni, depuis cinquante ans, plus de 300 œuvres du peintre.
Air mutin, large front plissé et dégarni duquel jaillissent des cheveux blancs en bataille retombant sur ses tempes et ses oreilles, un gilet posé sur les épaules, Paul Delvaux accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition. Agréablement et sobrement mise en scène, celle-ci réunit quelque 80 œuvres (peintures, dessins et estampes) presque toutes issues, à cinq exceptions près, de la collection Pierre Ghêne.
Non, Delvaux n’est pas uniquement le peintre de femmes dénudées, glaciales et solitaires, errant le regard vide au milieu de colonnes antiques soulignent d’emblée William Saadé et Claire Leblanc. Les commissaires de l’exposition « Paul Delvaux, maître du rêve » ont voulu sortir des poncifs et des clichés souvent associés à son art et montrer d’autres facettes de l’œuvre du peintre. En témoigne, à l’entrée de l’exposition, le cabinet érotique du maître, abrité dans une petite salle rose bonbon, et réunissant quelques dessins et gravures érotiques. Des couples de femmes nues s’étreignent, se caressent et s’embrassent.
Un peu plus loin, au fil d’un parcours chronologique et thématique (les figures de la femme, la poésie, le mystère et le fantastique, le théâtre des rêves, les voyages et l’évasion, la solitude et le recueillement), le visiteur tombe nez à nez avec une toile autobiographique : Coiffeur pour dames (1933). Un jeune garçon timide, (Paul Delvaux enfant) observe, le nez collé à la devanture de l’échoppe, les yeux écarquillés, deux femmes, la poitrine dénudée, occupées à lisser leurs cheveux. À l’autre extrémité de la vitrine, un jeune homme, (Paul Delvaux adulte), cravaté et engoncé dans un veston, se délecte de cette même scène avec componction.
Quelques mètres plus loin, sur une autre cimaise, Les Noces à Antheit croque, en guise de pied de nez, les invités à un mariage qui n’a pas eu lieu : celui de Paul Delvaux avec Anne-Marie de Maertelaere dite Tam, les parents du peintre s’étant opposés à cette union. « La rupture qui survient en 1930, un an après leur rencontre, constitue un événement traumatisant qui contribue fortement à l’obsession que Delvaux développera à l’égard de la femme », explique l’historienne de l’art Laura Neve. C’est dans ces années-là que la femme s’impose comme sujet de prédilection.
Autre tournant majeur dans la carrière de Delvaux : la rencontre avec l’œuvre de Giorgio De Chirico, en 1934, lors de l’exposition « Minotaure » au Palais des beaux-arts de Bruxelles. Séduit par la poésie et le mystère qui se dégagent de ses rues désertes et de ses ombres portées au soleil couchant, Delvaux se fixe alors pour objectif de faire de la poésie en peinture. « C’est Giorgio De Chirico qui tout à coup m’a mis sur ma voie », explique-t-il, en 1973, lors d’un entretien avec Renilde Hammacher. Dans les semaines et années qui suivent, durant l’été 1934, Delvaux réalise de nombreuses toiles empreintes de poésie et d’un silence énigmatique comme La rencontre et Le chagrin d’Arlequin. Il dépeint des femmes muettes évoluant dans des décors au silence pesant entourées de bâtiments antiques. Exécuté en 1935, Le Rêve figure deux femmes nues dans un cadre désertique flanqué d’une architecture classicisante. L’une au premier plan, lascive et endormie, est surplombée par une autre, éveillée, flottant au-dessus d’elle.
En 1952, nouveau tournant dans sa vie et sa peinture : Delvaux épouse Tam, son amour de jeunesse. « Au cours des années 1970 et 1980, les femmes semblent plus que jamais sans repères, en attente de rendez-vous impossible dans un univers déserté. De plus en plus précieuses et impassibles, aux gestes peu naturels et hiératiques, elles prennent l’aspect de statues de marbre prêtes à se briser », note Laura Neve.
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Dans le tourbillon de la vie de Delvaux
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Paul Delvaux, Coiffeur pour dames, 1933, huile sur toile, 189 x 239 cm, collection particulière en dépôt au Musée d'Ixelles, Bruxelles, © Fondation Paul Delvaux, St Idesbald, photo : Vincent Everarts
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : Dans le tourbillon de la vie de Delvaux