Le Musée Cantini à Marseille tente de percer l’iconographie énigmatique du peintre belge Paul Delvaux, entre onirisme et surréalisme. Une (re)découverte.
Paul Delvaux (1897-1994) bénéficie d’une large renommée en Belgique, son pays natal. En dehors de ces frontières, il est surtout connu pour son appartenance éphémère au mouvement surréaliste, et son œuvre est souvent comparée à celle de Giorgio De Chirico dans sa facture classique, dont des accents sont perceptibles dans ses toiles.
Depuis 1991 et une grande rétrospective au Grand Palais, à Paris, aucune institution française ne s’était emparée de son œuvre : le Musée Cantini à Marseille remédie à ce relatif oubli en lui dédiant son exposition estivale, dans la lignée du travail récent de l’institution sur les grandes figures de l’art moderne. Pour l’occasion, le musée marseillais s’est associé au Musée d’Ixelles, à Bruxelles, tant les collections publiques françaises semblent être passées à côté de cet artiste, pourtant génial dans sa singularité.
Le choix d’un parcours thématique est judicieux : il s’impose au vu des motifs presque compulsifs qui habitent les toiles et dessins de Delvaux, dès ses premières années au sortir de l’Académie des beaux-arts de Bruxelles dans les années 1920.
« J’ai toujours eu une grande joie à peindre et j’ai vécu tous mes tableaux pendant que je les exécutais », déclarait Paul Delvaux en 1982. Ici, l’expression d’« univers personnel » n’est pas inappropriée. Chaque œuvre du peintre réactive une série de lieux rêvés et habités par la psyché de l’artiste. Les thèmes qui traversent l’exposition (la femme, le squelette, le train, l’Antiquité, l’intime, etc.) apparaissent comme les pièces d’un paysage esthétique et psychologique, une quête de la perfection qui ne quitte pas l’infatigable architecte. L’homme ne s’est toutefois jamais exprimé sur la signification de son œuvre, réduisant l’historien aux conjectures et hypothèses, et le visiteur à la contemplation de peintures parfois hermétiques et inquiétantes.
Le squelette, hérité des visions de Jérôme Bosch, ravivé par l’œuvre plus proche d’Ensor, présence inquiétante, est une « charpente d’être humain » selon les propres termes de Delvaux ; il se multiplie dans les toiles de la période 1940-1945. Sans que l’artiste n’en soit le témoin direct, le macabre de la période envahit son univers. Morts et vivants se confondent et jouent une danse cauchemardesque, résurgence des foires populaires visitées enfant.
Le mystère féminin
L’Antiquité des architectures, des figures, des mythologies, des objets et des accessoires jaillit dans les scènes. Delvaux construit des villes rêvées, entre classicisme gréco-romain et Renaissance italienne : Sérénité (1970, Musée Groeninge, Bruges) déploie une architecture digne de Piero Della Francesca, arbore un clocher très flamand, des belles dénudées coiffées de chapeaux 1900. Ce syncrétisme historique concourt également au fort sentiment d’étrangeté qui transpire de la toile, comme en une échappatoire au temps présent, forcément décevant et réducteur.
Le train, chez Delvaux, n’a pas d’horaires, pas de destination, pas de conducteurs ni de passagers. La Gare forestière (1960, Fondation Paul Delvaux) évoque une vision hallucinatoire, dans une forêt que n’aurait pas reniée le Douanier Rousseau.
Et il y a la femme, omniprésente et énigmatique. L’Acropole (1966, Musée national d’art moderne, Paris) et L’Ermitage (1973, collection privée) présentent des femmes au physique froid, dans une atmosphère qui emprunte aussi bien à De Chirico qu’à Magritte. Figure silencieuse, tour à tour sensuelle ou prude, courtisane ou déesse, femme ou fillette, le féminin rêvé de Delvaux est toujours dans l’absence de communication, un mystère muet que le peintre chercherait dans toutes ses toiles à percer.
Commissariat : Olivier Cousinou, conservateur au Musée Cantini ; Laura Neve, attachée scientifique au Musée d’Ixelles, Bruxelles
Nombre d’œuvres : env. 90
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Un Delvaux fort en rêve
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 21 septembre, Musée Cantini, 19, rue Grignan, 13006 Marseille, tél. 04 91 54 77 75, tlj sauf lundi, 10h-18h. Catalogue, éd. Snoeck, Heule, 172 p., 30 €.
Légende photo
Les Squelettes, 1944, Huile et encre de Chine sur panneau, 84 x 90 cm, Collection privée en dépôt au Musée d'Ixelles, Bruxelles© Fondation Paul Delvaux, St Idesbald, Belgique / ADAGP, Paris 2014 © photo Vincent Everarts, Bruxelles
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Un Delvaux fort en rêve