Contemporain de Magritte, le peintre belge a nourri une véritable fascination pour l’art antique. À Bruxelles, une exposition révèle ce pan méconnu de son œuvre.
Peintre des gares et du nu féminin, pour avoir honoré plusieurs commandes publiques et célébré la figure féminine… C’est non sans condescendance que l’art de Paul Delvaux (1897-1994) a longtemps été considéré par des contempteurs souvent plus sensibles aux avant-gardes qu’aux peintres restés dans une veine classique. Or, contrairement à cette infortune critique, plusieurs expositions montées dans les années 1990 ont démontré que Delvaux a bel et bien été une figure majeure de la peinture belge du XXe siècle.
Moins attentif à sa cote sur le marché de l’art que son contemporain René Magritte (1898-1967), Delvaux a toutefois laissé un catalogue incomplet qui rend difficile son appréciation. Plusieurs peintures de jeunesse ont ainsi été volontairement détruites par l’artiste, brouillant ainsi les pistes.
L’influence décisive de la peinture de De Chirico
Promis à une carrière de juriste, comme son père, Paul Delvaux parvient à échapper à son milieu familial en intégrant l’Académie des beaux-arts. Une première tentative le mène en section architecture puis en peinture décorative, dans l’atelier de Constant Montald, qui l’initiera aux décors antiques. Delvaux semble alors chercher sa voie, mais subit l’influence des expressionnistes belges James Ensor et Constant Permeke. Ses goûts de jeunesse, portés sur la mythologie grecque et les récits d’aventure de Jules Verne, continuent toutefois de peupler son imaginaire pictural.
Une première exposition collective, en 1923, l’amène à faire cimaise commune avec Magritte. D’abord sceptique vis-à-vis du surréalisme, sa véritable rencontre avec ce courant se produit au milieu des années 1930 par le biais de l’art de Giorgio De Chirico, présenté à Bruxelles. La peinture de Delvaux sera désormais empreinte d’une même étrangeté tout en demeurant pétrie d’hyperréalisme. Naïveté ou académisme, diront alors les critiques.
Consacrée à son rapport à l’Antiquité – une Antiquité longtemps fantasmée avant de pouvoir être connue de visu –, cette exposition présente pourtant sa peinture sous un jour nouveau. De quoi s’interroger. Et si Delvaux avait été plus classique que surréaliste ? En témoigne cette œuvre ambiguë, L’Homme de la rue (1940), que L’œil s’attache à décrypter.
1. Les ruines - Une certaine vision de l’antique
Durant l’entre-deux-guerres, comme de nombreux artistes, Delvaux porte un regard nouveau sur l’Antiquité. Si sa peinture adopte une veine classique, ses œuvres sont aussi peuplées de personnages mythologiques, déjà découverts par le jeune Delvaux dans les récits homériques dont il faisait des croquis dans ses cahiers d’écolier. Pourtant, alors que le peintre nourrit ce goût pour l’antique, cette vision a d’abord été le fruit de sa culture et de son imaginaire. Il faut en effet attendre 1937, puis 1939, pour que Delvaux puisse enfin se rendre en Italie. Quant à la Grèce, ce n’est qu’en 1956 qu’il y fait son premier séjour, dont il détaillera les souvenirs en 1964, lors d’une communication à l’Académie de Belgique.
Dans ce tableau, Delvaux livre pourtant une vision inhabituelle de l’antique dans sa peinture : celle de la ruine. Au second plan, la frise du temple ionique a été en partie arrachée. Des fragments de pierres jonchent le sol d’une terre aride, sur laquelle la nature peine à reprendre ses droits.
2. La femme - Trois cariatides nues ?
Au début des années 1930, Delvaux découvre à la Foire du Midi de Bruxelles une baraque foraine, le musée Spitzner, qui va profondément le marquer. Ce sordide cabinet de curiosités, où sont exposées des malformations congénitales, contient également une étrange poupée de femme. Delvaux en fera la Vénus Spitzner, figure de femme endormie, thème récurrent dans son travail.
Dès 1935, avec la Place publique, Delvaux crée un autre prototype féminin singulier. La femme est figurée le plus souvent nue, le regard absent, dans un état proche du somnambulisme. Dans L’Homme de la rue, trois femmes sont représentées telles des sculptures minérales – des cariatides? – sur lesquelles grimpe la végétation. L’érotisme est présent, mais, même si ses peintures feront souvent scandale, il demeure plus contenu que chez les surréalistes.
Ici, la nudité semble d’abord utilisée pour produire une atmosphère étrange, énigmatique, nourrie du contraste insolite avec la tenue de l’homme qui lit son journal. Vêtu en bourgeois, il semble totalement indifférent à la scène à laquelle il participe pourtant.
3. Le surréel - L’influence de Magritte
« La vue de Chirico et de Magritte a été une révélation pour moi. J’ai saisi un mystère que je n’avais fait qu’entrevoir de loin avant cela. » Ainsi s’exprime Paul Delvaux en 1934, lorsqu’il découvre le surréalisme à l’occasion de l’exposition « Minotaure » au palais des Beaux-Arts de Bruxelles. L’atmosphère étrange de la peinture de De Chirico le marque durablement. De Magritte, il ne retient en revanche que le goût de l’insolite, qui aboutit ici à la confrontation entre les femmes nues et l’homme au chapeau melon, qui constitue à lui seul un clin d’œil évident à Magritte.
Delvaux est pourtant toujours resté en marge du groupe surréaliste. Apprécié de Breton et d’Éluard, il participe en 1938 à l’« Exposition internationale du surréalisme » à Paris puis à d’autres manifestations internationales. Mais il ne sera jamais un membre actif du groupe et gardera son indépendance et son style propre. « L’œuvre de Delvaux est une œuvre classique et, tout préjugé ou considération esthétique mis à part, je la considère comme une survivance du symbolisme au XXe siècle », écrit à son sujet l’historien du surréalisme belge Xavier Canonne.
4. L’académisme - Un récit dans une atmosphère d’étrangeté
Comme en témoigne encore sa production graphique, Paul Delvaux a été un grand dessinateur et très peu de ses peintures ont été conçues sans dessins préparatoires. Contrairement à Magritte, le peintre a toujours accordé une grande importance au graphisme et à la couleur. Sa peinture privilégie une facture léchée, très réaliste, son attention aux détails lui ayant parfois attiré des critiques acerbes et le qualificatif de peintre naïf.
Mais, à la différence de Magritte qui privilégie l’image choc, Delvaux s’attache à peindre des récits plus complexes, des scènes fermées, closes dans l’esprit du tableau. D’où une certaine théâtralité, parfois accentuée par la construction architecturale du tableau. Le hiératisme des figures et la perspective traditionnelle lui confèrent plutôt le statut de peintre académique. Mais un académisme poétique, empreint d’une atmosphère d’étrangeté qui était alors dans l’air du temps.
1897
Naît à Antheit (Belgique).
1918
Le peintre Courtens convainc ses parents de son talent pour l’art.
1934
À l’exposition « Minotaure » à Bruxelles, il découvre 8 toiles de De Chirico.
1938
« Exposition internationale du surréalisme ».
1944
Rétrospective à Bruxelles.
1956
Voyage en Grèce.
1962
À Ostende, son expo est interdite aux mineurs.
1977
Devient membre de l’Institut de France.
1984
Nommé chef de gare honoraire de la gare de Louvain-la-Neuve.
1994
Décède à Furnes.
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Paul Delvaux - Son Homme de la rue, surréaliste et classique
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Paul Delvaux et le monde antique », jusqu’au 31 janvier 2010. Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles. Du mardi au dimanche de 10 h à 17 h. Tarifs : 9 et 6,50 €.
www.fine-arts-museum.be
Tout Delvaux à Saint-Idesbald. À 20 km de Dunkerque et 35 km de Bruges, sur la côte belge, à Saint-Idesbald, une ancienne maison de pêcheurs abrite le musée Paul Delvaux. Ouvert en 1982, il présente la plus importante collection d’œuvres de Delvaux léguée par l’artiste et son épouse.Fermeture annuelle du 9 janvier au 31 mars.
www.delvauxmuseum.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°620 du 1 janvier 2010, avec le titre suivant : Paul Delvaux - Son <i>Homme de la rue</i>, surréaliste et classique