Art moderne

XIXE SIÈCLE

Comment Carrière a composé avec ses maîtres

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2024 - 520 mots

Le Musée des Avelines tente de mieux faire comprendre le style d’Eugène Carrière en le confrontant à ses influences. Une exposition labellisée d’intérêt national.

Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Connu surtout pour ses grandes maternités monochromes à l’ocre brun, Eugène Carrière (1849-1906) peut apparaître difficile d’accès. En montrant les influences qu’il a reçues, son entourage et ses élèves, Damien Chantrenne, directeur du Musée des Avelines, parvient à mieux le faire comprendre et apprécier. Le mécène Charles Oulmont (1883-1984) a donné une grande partie de sa collection d’œuvres de Carrière à ce musée. Il éprouvait pour le peintre « une passion » virant à « l’obsession », écrit Damien Chantrenne dans le catalogue. Peut-être une partie de cet attachement est-elle liée à l’empreinte du XVIIIe siècle, dont Oulmont était un grand amateur, que l’on trouve dans certaines des œuvres du peintre. Car, si on imagine celui-ci seulement influencé par Turner et Whistler, le parcours le montre plus complexe. L’Alsacien passe un an à Saint-Quentin (Aisne) en 1868 : il y admire les pastels de Maurice-Quentin de La Tour. Élève en 1869 de Cabanel à l’école des beaux-arts de Paris, il y conforte son goût pour Rembrandt, Vinci et Vélasquez. Prisonnier à Dresde lors de la guerre franco-prussienne, il obtient le droit de copier Raphaël au musée, dont il rapporte une photo représentant la Madone Sixtine qu’il conservera toute sa vie. Dominique Lobstein, commissaire scientifique de l’exposition, remarque aussi l’influence sur lui des représentations classiques du Voile de sainte Véronique ou des figures de philosophes en grisaille de Théodule Ribot, ainsi dans son Héraclite (vers 1885-1887).

Le visiteur a dès lors la liberté de retrouver, chez Carrière, Les Ménines de Vélasquez dans Maternité (vers 1892, [voir ill.]), Femme à sa toilette de Watteau dans Après le bain (1887), La Mère bien-aimée de Greuze dans Le Baiser du soir (1901) ou La Madone Sixtine de Raphaël dans Maternité (femme et enfant) (vers 1890). Toutes ces influences sont pourtant déjouées par un parti pris réaliste qui repousse toute séduction ou sentimentalisme et par une mise à distance dans une atmosphère vaporeuse. C’est ainsi que Carrière explore l’« âme humaine faite de nuances trop multiples pour qu’un seul homme puisse l’exprimer dans son unité », telle qu’il la décrit dans un texte préparant l’une de ses nombreuses conférences. Une préoccupation que partageaient ses amis artistes, les sculpteurs Rodin, Rosso et Bourdelle par exemple.

La lumière plus que la ligne

Une salle évoque ses élèves parmi lesquels de nombreuses femmes, qu’il mêlait aux hommes dans son atelier. L’une d’elles, Laëtitia Azar du Marest, rapporte les principes de son enseignement : « l’artiste fort est celui qui marche indépendant », ou « les formes extérieures du monde nous sont révélées beaucoup moins par la ligne que par la lumière ». Eugène Carrière leur a légué la liberté. Deux beaux tableaux de Jean Puy le montrent cherchant du côté de Manet et Berthe Morisot, et Laure Ettinghausen, pour le Portrait d’Adrienne Marchand (vers 1902), retrouve le recueillement tranquille d’une Vierge cousant de la Renaissance. Finalement, Ferdinand Olivier est le seul à se rapprocher de son maître par le traitement de la lumière dans une magnifique lithographie toute symboliste, Le Baiser (1900).

Eugène Carrière (1849-1906), de tendresse et d’amitié,
jusqu’au 16 février 2025, Musée des Avelines, 60, rue Gounod, 92210 Saint-Cloud.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : Comment Carrière a composé avec ses maîtres

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