Italie - Biennale

BIENNALE DE VENISE 2024

La Biennale de Venise regarde vers le Sud et vers les marges

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 26 avril 2024 - 853 mots

VENISE / ITALIE

Le grand rendez-vous international de l’art contemporain vient d’ouvrir ses portes pour sept mois. La 60e Biennale de Venise met en avant un discours d’ouverture et une sélection d’artistes marqués par l’exil, les migrations ou la marge. Elle déplace également le curseur vers l’hémisphère Sud.

Pavillon international de la Biennale de Venise, avec une fresque réalisée par le collectif amazoniens Mahku. © Matteo de Mayda
Pavillon international de la Biennale de Venise, avec une fresque réalisée par le collectif amazoniens Mahku.
© Matteo de Mayda

Venise (Italie). Quatre-vingt-six pavillons nationaux, une trentaine d’événements collatéraux et plus de cent expositions recensées dans le dédale de la Sérénissime en plus de l’exposition officielle : c’est une Biennale d’art au programme copieux qui a ouvert ses portes le 20 avril. Intitulée « Foreigners everywhere – Stranieri Ovunque » (Étrangers partout), concentrée sur l’hémisphère Sud et les minorités, cette 60e édition conçue par Adriano Pedrosa, premier Sud-Américain à endosser ce rôle, se veut porteuse d’un message de tolérance et d’ouverture à l’autre. Soit, comme le détaille son manifeste : « L’artiste queer, qui a évolué au sein de différentes sexualités et genres, souvent persécuté ou hors-la-loi ; l’artiste outsider, qui se situe aux marges du monde de l’art, tout comme l’artiste autodidacte, l’artiste populaire et l’artiste indigène, souvent traité comme un étranger sur sa propre terre. »
Ce parti pris altruiste comporte une dose de politiquement correct – en misant sur les tendances contemporaines de l’inclusion et de la diversité – et une part de découverte. La plupart des 331 artistes et collectifs dont les œuvres sont montrées n’ont jamais exposé en Europe, et pour ceux qui ne sont plus de ce monde, leurs noms ont souvent été négligés par l’histoire.

Un intérêt pour l’artisanat

La portée de ce manifeste pour la diversité artistique est cependant discutable. Car si la sélection des artistes et des œuvres semble moins tributaire des circuits établis, elle n’échappe pas totalement aux logiques de marché. On notera par exemple la belle visibilité offerte dans l’exposition internationale à deux jeunes peintres encore peu vus en Europe, chacun dans une veine figurative se jouant des stéréotypes gays : les petits formats dans les tons verts de Salman Toor à l’Arsenale, et les portraits masculins gentiment érotiques de Louis Fratino dans le pavillon central des Giardini.

Outre la peinture, et en dehors de quelques vidéos – dont Machine Boys, de Karima Ashadu (2024), récompensé par le Lion d’argent distinguant un jeune talent dans l’exposition internationale –, c’est une sélection qui privilégie le geste de la main, notamment les œuvres textiles. Elle assume donc un intérêt pour l’artisanat et les techniques traditionnelles, celles-là mêmes qui, en Occident, ont longtemps été séparées des Beaux-Arts. Au risque aussi de perpétuer les clichés d’un art naïf et peu conceptuel.

Si la Biennale n’a pas de vocation commerciale, elle constitue une plateforme mondiale pour les artistes. De nombreux galeristes français (Pierre-Alain Challier, Christian Berst, Kamel Mennour, Jérôme Poggi, Emmanuel Perrotin, Daniel Templon, Guillaume Sultana, Daniele Balice… ) étaient d’ailleurs présents à l’ouverture, pour les soutenir, mais aussi parce que de nouveaux projets institutionnels peuvent se déclencher ici, voire des acquisitions par des collectionneurs. Ces derniers sont nombreux à faire le déplacement lors de la première semaine, pendant laquelle les occasions mondaines n’ont pas manqué, du dîner d’anniversaire de Bernar Venet, octogénaire plein de vitalité, à la soirée annuelle organisée par la Collection Pinault.

Venise est aussi l’écrin parfait pour attirer l’attention sur des œuvres tombées dans l’oubli et susciter de nouvelles opportunités. Ainsi de Chu Teh-Chun, star du marché mais à peu près inconnu du grand public. Sa rétrospective, organisée par la Fondation Chu Teh-Chun, est remarquablement mise en valeur par la scénographie de son commissaire Matthieu Poirier, dans l’ancienne piscine de la Fondation Giorgio-Cini.

Où, sinon à Venise, apporter la preuve que l’art le plus contemporain peut entrer en résonance avec la statuaire classique dans des édifices gothiques ou Renaissance ? Parmi les expositions qui savent tirer le meilleur parti de ce dialogue, citons « From Ukraine : dare to dream ». À l’initiative de la Fondation Pinchuk (la plus importante collection privée d’Ukraine), elle réunit 22 artistes (Allora & Calzadilla, David Claerbout, Shilpa Gupta, Nikita Kadan, Otobong Nkanga…) dans le cadre somptueux du Palazzo Contarini Polignac. Et montre que l’art peut se mettre au service d’un propos engagé de façon subtile et sensible.

L’actualité rattrape la Biennale

Venise peut apparaître comme une bulle privilégiée dans un monde globalement tourmenté. Elle lui fait cependant écho, à sa façon, puisqu’elle n’échappe pas à l’actualité. Avec une partie de son équipe bloquée à Beyrouth (car l’aéroport a temporairement cessé son activité), c’est un miracle si l’installation de l’artiste Mouniral El Solh pour le pavillon du Liban a pu être acheminée sans encombre. Le pavillon d’Israël a, pour sa part, été fermé par ses propres représentants, l’artiste Ruth Patir et les commissaires Tamar Margalit et Mira Lapidot réclamant un cessez-le-feu à Gaza et la libération des otages israéliens par le Hamas.

On retiendra également de cette édition la forte proportion parmi les pavillons nationaux des pays africains, tel le Bénin, dont c’est la première participation. Celle-ci témoigne d’une ambition culturelle affirmée, entre la restitution par la France de ses trésors royaux et l’ouverture annoncée du « Musée d’art contemporain » de Cotonou. C’est le signe que le renouvellement de la scène artistique se joue dans un cadre culturel plus large.

Biennale de Venise, « Foreigners everywhere – Stranieri Ovunque »,
jusqu’au 24 novembre 2024, à Venise, Italie.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°632 du 26 avril 2024, avec le titre suivant : La Biennale de Venise regarde vers le Sud et vers les marges

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