Art moderne

XXE SIÈCLE

Bonnard encore plus japonard

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 18 juin 2024 - 499 mots

L’hôtel de Caumont montre la relation formelle du peintre avec l’ukiyo-e, mais aussi la profonde influence qu’eut sur lui la pensée japonaise.

Aix-en-Provence. En 1892, Pierre Bonnard (1867-1947) reçut le surnom de « Nabi très japonard » du critique Félix Fénéon. Il était amateur d’estampes japonaises (ukiyo-e) sans doute dès avant l’importante exposition « La Gravure japonaise » organisée à l’école des Beaux-Arts en 1890. On sait qu’il commença par collectionner les estampes sur crépon, bon marché, et poursuivit ses acquisitions jusqu’à la fin de sa vie.

En 1946, ses comptes mentionnent l’achat de rouleaux par l’intermédiaire de son neveu. L’ensemble de plus d’une centaine de pièces qu’il a réunies a été dispersé et l’exposition présente les trois connues qui en subsistent. La spécialiste du peintre, Isabelle Cahn, a rassemblé près de cent vingt œuvres dont quarante et une estampes japonaises appartenant dans leur presque totalité à la collection de référence de Georges Leskowicz. Son principe n’est pas d’accrocher une estampe à côté de chaque œuvre de Bonnard pour mettre en évidence la communauté de formes. Pour cette première exposition consacrée à l’influence qu’il a reçue de l’art japonais, la commissaire avait une intuition que ses recherches sur le sujet ont confortée : l’artiste avait totalement assimilé l’art de l’ukiyo-e, non seulement dans l’usage des couleurs, la composition, la perspective ou les sujets, mais encore dans la vision du monde qui le sous-tendait. Cette appropriation de l’univers mental japonais est au centre du parcours.

Celui-ci débute par le paravent de quatre feuilles lithographiées en cinq couleurs, La Promenade des nourrices, frise des fiacres (1897), une œuvre totalement japonaise dans sa forme (le paravent) mais aussi dans ses codes : perspective aplatie, place donnée au vide, sujet quotidien, traduction du mouvement par la répétition d’un motif (les fiacres). Cette proximité formelle apparaît aussi dans Femmes au jardin (1890-1891), quatre toiles dont le sujet se réfère aux « beautés », portraits de courtisanes de l’ukiyo-e, et le format en hauteur à celui du kakemono. Cet ensemble a été prêté par le Musée d’Orsay mais la plupart des œuvres de l’exposition viennent de collections particulières ou de musées étrangers permettant au visiteur de découvrir d’un œil neuf l’écho des estampes dans le travail du peintre.

Le rendu du mouvement par la multitude de personnages se croisant sans se voir, les scènes banales de la vie quotidienne à laquelle participent les enfants et les animaux, mais aussi ces moments si spécifiques de Bonnard dans lesquels le temps semble suspendu sont issus de la perception japonaise du monde. Isabelle Cahn évoque le yugen, beauté liée à l’impermanence, et le wabi-sabi, attention aux choses triviales et imparfaites. Extrêmement japonaises, aussi, ces femmes à leur toilette ou nues dans leur intimité. Enfin, le peintre a fait sien le hanami, la contemplation des arbres en fleurs au début du printemps. Ce moment éphémère d’exaltation, de joie pure, c’est celui que connaissait Bonnard devant son amandier, dans les derniers temps de sa vie. Il lui donnait, disait-il « la force de le peindre chaque année ».

Bonnard et le Japon,
jusqu’au 6 octobre, Hôtel de Caumont, 3 rue Joseph-Cabassol, 13100 Aix-en-Provence.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Bonnard encore plus japonard

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