S’appuyant surtout sur le personnage de Marthe, le réalisateur Martin Provost raconte leur vie commune, à la fois huis clos et formidable incubateur pour l’œuvre de Pierre Bonnard.
Pierre (1867-1947) et Marthe (1869-1942) Bonnard ont vécu cinquante ans ensemble, un amour hors du commun à bien des égards que raconte le film de Martin Provost qui récuse le terme de biopic. Il avait déjà abordé la vie d’une peintre avec Séraphine (2008). Après avoir vu ce film, Pierrette Vernon, petite-nièce de Marthe Bonnard, l’avait approché pour lui parler de sa grand-tante, elle aussi artiste pendant quelques années. Le réalisateur l’a mise en contact avec Françoise Cloarec qui avait publié Séraphine. La vie rêvée de Séraphine de Senlis (Phébus, 2008). Les informations détenues par Pierrette Vernon et une longue enquête ont permis à l’autrice de faire paraître, en 2016, L’Indolente. Le mystère Marthe Bonnard (Stock) dont Martin Provost s’est finalement inspiré.
Plus que Pierre Bonnard, Marthe et son mystère sont donc au centre du film, au point qu’on voit presque autant de pastels de Marthe que de toiles de Pierre. Interprétée par Cécile de France dont le jeu change de couleur au gré de l’état mental de son personnage, elle est l’ouvrière en fleurs artificielles de 1893 amoureuse de l’artiste qui l’a abordée pour lui demander de poser. Puis la compagne asthmatique, jalouse et dissimulatrice qui fuit le milieu qu’il fréquente et enfin la femme qui « n’est plus vraiment là », comme le dit son médecin. Dans ce film lumineux, on la voit périodiquement rejoindre sa mère et sa sœur dans l’ombre d’un appartement inconnu de Pierre. Car, on le sait, elle ne s’appelait pas Marthe de Méligny mais Maria Boursin et elle n’était pas sans famille comme elle l’affirmait.
Le réalisateur laisse de côté le procès sur l’héritage qui a eu lieu après leur mort et qui est, pour lui, « une autre histoire ». Il met en avant quelques personnages autour du couple : Misia Godebska (magnifique Anouk Grinberg) et ses trois maris, Édouard Vuillard (Grégoire Leprince-Ringuet), Claude Monet (André Marcon) et sa femme Alice, Renée Monchaty (Stacy Martin). Ce sont ceux que voyait Marthe, se confiant aux uns, jalouse des autres. Si la liaison avec Renée est abordée, rien n’est dit sur l’infidélité habituelle du peintre qui était connue de tous. Il en résulte que Marthe, accusée d’isoler son compagnon, peut sembler plus paranoïaque qu’elle ne l’était, du moins dans les premières années.
À l’exception d’un séjour à Rome, Pierre Bonnard (parfait Vincent Macaigne) apparaît peu sans sa compagne. On le voit beaucoup peignant, non loin de Marthe qui reste son modèle. Le réalisateur souligne ainsi le rôle d’inspiratrice et de « rocher », dit-il, qu’elle eut pour son compagnon jusqu’à la fin de sa vie. Sans chercher à expliquer l’art de Bonnard, il montre sa manière de s’abstraire du motif en travaillant de mémoire, face au mur. Les vues qu’on a par les fenêtres sont le plus souvent des décors ostensiblement peints, renvoyant à l’absence de perspective dans les tableaux de l’artiste. Au-delà des vicissitudes, de la douleur et de la folie, Martin Provost filme deux êtres qui n’ont vécu que pour l’art de Pierre, construisant un monde qui n’appartenait qu’à eux, à jamais opaque à nos yeux.
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Le couple Bonnard, lumineux et opaque
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : Le couple Bonnard, lumineux et opaque