PARIS
Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris propose une approche formaliste de l’artiste, présenté en précurseur de la peinture « all over ».
PARIS - Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, rafraîchi et revigoré après un sommeil de plus de deux ans, inaugure son cycle d’expositions temporaires avec Pierre Bonnard (1867-1947). « Pierre Bonnard, l’œuvre d’art, un arrêt du temps » propose une étude formaliste du travail du peintre, présenté ici en précurseur de la peinture all over.
Pour François Michaud, co-commissaire de l’exposition : « On croit connaître Bonnard, on l’a longtemps classé avec Vuillard, on est resté bloqué sur l’adage “Bonnard, bonheur”, sur l’image d’un artiste qui peignait son chien et sa femme dans son bain. » L’objectif est donc de dépasser le cliché d’un Bonnard peintre bourgeois, chroniqueur de la joie de vivre en couleurs pastel. La réhabilitation du peintre, malmené par la critique française durant des décennies, remonte à 1984, date de la rétrospective organisée par Jean Clair au Centre Pompidou. Aujourd’hui, les commissaires soulignent ce que la critique américaine – le formaliste Clement Greenberg – et la rétrospective du MoMA (Museum of Modern Art) de New York avançaient déjà en 1964 : la technique picturale de Bonnard a tout de la peinture all over. Rien d’étonnant au fond pour un peintre lié aux Nabis, dont le mot d’ordre était, selon Maurice Denis, de « se rappeler qu’un tableau, avant que d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».
Concentrée sur les œuvres de la maturité, l’exposition ne fait cependant qu’une brève allusion à la période nabi. Œuvre inaugurale, Le Peignoir (1892) illustre l’importance donnée à la matière picturale – la femme vêtue dudit peignoir est à peine visible sous l’épaisse couche de peinture figurant le vêtement. Dans un esprit proche du trompe-l’œil, les grandes décorations commandées par Misia Sert (entre 1906 et 1910) et par Ivan Morozov (1910 et 1912) rappellent la tapisserie ancienne. Mate et fibreuse, la touche du peintre épouse la toile et la peinture devient tissu. Au fil du temps, la surface du tableau est de plus en plus organique, jusqu’à transformer la nature luxuriante de L’Été (1917), du Jardin (1936-1938) ou de La Terrasse de Vernon (v. 1928) en un mur végétal infranchissable. « Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture », défendait l’artiste.
Au travail élaboré de la surface se greffe un talent exceptionnel de coloriste. L’accrochage sur des murs blancs et l’éclairage révèlent des teintes qui, près d’un siècle plus tard, continuent à vibrer. Ou, comme disait Pablo Picasso, fervent détracteur de Bonnard, à « frissonn[er] imperceptiblement ». Dans Nu dans le bain (1936-1938), chef-d’œuvre des collections du musée parisien, les carreaux de la salle de bains scintillent comme s’ils étaient éclairés par un vitrail ensoleillé. Pour Nu dans la baignoire (1925), Bonnard ose juxtaposer un tapis de bains rouge, jaune et vert primaires sur un fond à dominante bleu pastel, sans que l’harmonie générale du tableau en pâtisse.
Un espace inventé
Les personnages, quant à eux, sont seulement prétextes à structurer la composition. Dans Paysage du Midi et deux enfants (1916-1918), par exemple, les deux bambins se confondent avec l’architecture et le paysage. Dans Intérieur blanc (Le Cannet) (1932), Marthe et le chat n’apparaissent qu’après accommodation du regard. Les commissaires de l’exposition insistent ici sur la notion de temporalité, nécessaire à l’appréhension globale de la toile chez Bonnard.
Enfin, en dépit des sujets éminemment classiques (natures mortes, femme à la toilette…), le peintre introduit la tension à travers un détail anodin – la cafetière placée au bord de la table sous le regard alerte du chien Ubu dans Le Café (1915) –, ou dans la composition elle-même – les puissants axes géométriques du Café Au Petit Poucet, place Clichy, le soir, (1928).
La Cheminée (1916) n’est pas sans rappeler le chef-d’œuvre d’Édouard Manet, Un Bar aux Folies-Bergère (1881-1882). Si le jeu de miroir et l’incohérence spatiale diffèrent, Manet et Bonnard nous adressent un même message : ce que nous voyons n’est pas une reproduction du monde extérieur ou un reflet parfait de la réalité, mais un espace inventé sur une toile enchâssée recouverte de pigments.
Commissaires : Suzanne Pagé, commissaire générale, Jacqueline Munck, François Michaud, en collaboration avec Jessica Castex et Marianne Sarkari
Nombre d’œuvres : 129 (89 peintures, 21 dessins, 19 photographies, carnets et agendas)
Nombre de salles : 10
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Un nouveau regard sur Bonnard
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 mai, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, 10h-22h le mercredi. Catalogue, coéd. Paris-Musées/Ludion/Les Amis du Musée d’art moderne, 400 p., 200 ill. couleurs, 44 euros, ISBN 2-87900-885-9.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Un nouveau regard sur Bonnard