Environnement

TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Les musées au défi de la décarbonation

Les musées ont pris conscience depuis plusieurs années de leur impact écologique, en particulier de leur empreinte carbone. Quel est cet impact ? comment est-il calculé ? comment le réduire ? Un dossier complet et didactique, coordonné par Jean-Christophe Castelain et rédigé par Marion Krauze.

Une foule de visiteurs devant la Victoire de Samothrace au Musée du Louvre. CC0 Public domain, 2017
Une foule de visiteurs devant la Victoire de Samothrace au Musée du Louvre.

France. La culture en général et les musées en particulier ne sont pas les secteurs les plus émetteurs de CO2, pour autant leur empreinte carbone n’est pas neutre, à la fois au plan des émissions et au plan symbolique. Le ministère de la Culture estime (un peu au doigt mouillé !) que la culture émet 12 millions de tonnes de CO2 eq par an, hors transports et audiovisuel, soit entre 2 et 3 % du total des émissions en France, un chiffre comparable au poids économique de la Culture dans le PIB. Des chiffres plus précis existent par lieu ou type d’événement. Un grand festival en ville émet en moyenne environ 28 000 tonnes de CO2 eq et une salle de spectacle en périphérie produit 1 500 tonnes de CO2 eq par an, selon le rapport « Décarbonons la culture ! », publié par The Shift Project en 2021. Le Louvre génère à lui seul 4 millions de tonnes de CO2 eq par an tandis que le Palais de Tokyo en émet environ 7 000 tonnes. Notons cependant dès maintenant, qu’une très grande majorité des gaz à effet de serre (GES) émis par les lieux culturels provient des transports utilisés par les visiteurs pour venir sur le lieu, ce qui explique l’empreinte carbone considérable du Louvre et ses 9 millions de visiteurs.

La méthodologie Bilan Carbone, développée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) est l’outil de calcul le plus connu et répandu. Il permet d’évaluer la quantité d’émissions de GES liées à un produit, un procédé ou une organisation pendant une durée déterminée. Contrairement à ce que son nom laisse à penser, le bilan carbone ne prend pas seulement en compte le dioxyde de carbone (ou CO2). Il comptabilise également cinq autres GES : le méthane, le protoxyde d’azote, l’hydrofluorocarbone, le perfluorocarbure et l’hexafluorure de soufre. Pour simplifier leur calcul et pouvoir cumuler leur impact, tous ces gaz sont ramenés à l’échelle du CO2 en étant convertis en équivalent carbone. Lorsqu’un musée réalise son bilan carbone, le résultat est donc exprimé en tonnes équivalent CO2 (CO2 eq). L’ensemble des flux desquels dépend son activité sont pris en compte, généralement sur une durée d’un an, ce qui lui permet d’identifier ses postes les plus polluants et d’avoir un aperçu global des leviers à faire jouer pour réduire son empreinte carbone.

Trois catégories d’émissions de GES

Les émissions de GES liées aux activités d’une structure sont classées en trois catégories dites « scopes » (« périmètres » en français). Le scope 1 regroupe toutes les émissions directement générées par une structure ou collectivité, c’est-à-dire celles liées à la combustion d’énergies fossiles. Cela comprend aussi bien les émissions des véhicules en sa possession que celles générées par le fonctionnement d’une chaudière à gaz dans les locaux. Pour de nombreux musées, cette catégorie pèse peu dans le bilan carbone : seulement 54 tonnes de CO2 eq pour les Musées d’Orsay et de l’Orangerie en 2019 (moins de 1 % de leur empreinte carbone globale) par exemple. Pour d’autres, l’impact est plus important : 2 000 tonnes de CO2 eq (14 %) pour la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP) en 2016.

Le scope 2 intègre toutes les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie, qui ne sont donc pas directement générées sur le site de la structure. Elles sont associées à la production d’électricité, de vapeur, de chaleur ou de froid. Le poids des consommations énergétiques est très variable selon les musées, tandis que leur empreinte carbone est plus faible que dans d’autres pays en raison de l’origine nucléaire d’une bonne partie de l’électricité en France. Chez Universcience (Palais de la découverte et Cité des sciences et de l’industrie), l’énergie représente le troisième poste le plus important de consommation (1 891 tonnes de CO2 eq en 2019, soit 2 % de son empreinte carbone globale). Pour le Palais de Tokyo, c’est le quatrième poste (430 tonnes de CO2 eq en 2021).

Le scope 3 regroupe toutes les autres émissions indirectes de GES, donc tout ce qui ne relève pas des deux premiers scopes. Cette catégorie est la plus importante mais aussi la plus complexe à calculer pour un musée. Elle comprend la grande majorité des émissions qui découlent de son activité annuelle, aussi bien en amont qu’en aval. Cela comprend donc celles générées par les produits et services achetés (équipements, services, biens consommables, matériel de production, etc.), les déplacements des agents et des visiteurs, les transports des biens (dont celui des œuvres), le numérique (site Internet, newsletters, réseaux sociaux) ou encore le traitement des déchets. Selon les musées, tous ces flux pèsent plus ou moins lourd dans le bilan carbone. Le poste « achats » a généralement un fort impact : à titre d’exemple, 17 200 tonnes de CO2 eq pour le Muséum d’histoire naturelle de Paris en 2016 (sur 25 000 tonnes au total, hors mobilité des publics). Par comparaison, celui du traitement des déchets pèse peu, variant en moyenne entre 0,5 et 5 % de l’empreinte carbone d’un musée.

Le poids considérable du transport des visiteurs

Pour la plupart des musées, un poste d’émissions supplante nettement tous les autres : celui du déplacement des visiteurs pour venir au musée. Dans son guide d’inspiration et d’orientation publié en décembre 2023, le ministère de la Culture rappelle que la mobilité des publics compte, en moyenne, pour 65 à 90 % des émissions de GES des structures culturelles. Plus un musée est fréquenté par des visiteurs internationaux venus par avion ou par des visiteurs utilisant un mode de transport carboné comme la voiture, plus son empreinte carbone est lourde. Dans le cas du Louvre, 99 % de son impact carbone est attribué au déplacement des visiteurs. Pour le Musée d’Orsay et le Musée de l’Orangerie, ce déplacement a généré 116 000 tonnes de CO2 eq en 2019, ce qui représente 92 % de leur empreinte carbone globale. À Genève, le Musée d’ethnographie (MEG) a produit 891 tonnes de CO2 eq en 2022, dont 59 % attribués au transport des visiteurs, qui viennent surtout de la région.

« Le poids de la mobilité des publics dépend de la typologie de la structure, explique Laurence Perrillat, cofondatrice du collectif Les Augures qui accompagne les acteurs du monde culturel dans leur transition écologique. Un établissement culturel en grande métropole, dont les visiteurs se déplacent essentiellement en transports en commun, peut avoir des émissions liées au public moins élevées que celles d’un établissement en ruralité, qui attire des touristes régionaux se déplaçant en voiture. » Un constat qui se vérifie dans le cas des centres d’art. Après étude d’un panel de cinq types différents : La Criée à Rennes, le Centre de création contemporaine Olivier Debré (CCCOD) à Tours, le Crédac d’Ivry, la Maison des arts Georges et Claude Pompidou (Cajarc) et le Centre international d’art et du paysage de l’Île de Vassivière (CIAPV) en Nouvelle-Aquitaine. « Pour ces cinq centres d’art, qui produisent en moyenne 400 tonnes de CO2eq par an, le poids des visiteurs varie entre 20 % et 80 % de leur empreinte carbone globale », évalue Laurence Perrillat. Ainsi, sauf à interdire la venue de visiteurs non locaux, les marges de manœuvre des musées sont très limitées pour réduire l’empreinte carbone des visiteurs et par conséquent leur empreinte carbone en général. Certains lieux offrent des billets réduits à ceux qui viennent à pied ou à vélo, mais cela ressort plutôt du symbolique.

Le calcul de l’empreinte carbone

La méthodologie Bilan Carbone étant protégée, il est nécessaire de passer par un dépositaire agréé. Aujourd’hui, la plupart des établissements culturels d’une certaine taille comptent parmi leurs équipes des responsables RSO (responsabilité sociétale des organisations), chargés de la transition écologique de l’établissement. D’autres sollicitent les conseils de partenaires extérieurs spécialisés dans le domaine comme Les Augures, Solinnen ou Art of Change 21.

La collecte des données est assurée par des ingénieurs spécialisés dans le calcul du bilan carbone. « On commence par sensibiliser l’institution aux enjeux climat/énergie en vue d’impliquer le plus d’acteurs possible dans la démarche, précise Carole Rapilly, ingénieure et DG fondatrice du cabinet TranSyLience. Vient ensuite une phase de récolte des données, qui dure généralement un à six mois selon la structure. » Une étape fastidieuse puisque certaines données d’activité sont plus difficiles à aller chercher que d’autres. Si certaines sont connues avec précision, comme la consommation énergétique ou les litres de carburant, d’autres sont estimées ou extrapolées à partir des résultats d’une enquête.

Le cas le plus complexe est celui de l’empreinte carbone des visiteurs. Il faut d’abord calculer la part des visiteurs locaux, nationaux et internationaux. Un calcul qui tend à être de plus en plus simple car il est souvent demandé à un visiteur qui achète son billet d’indiquer le code postal de son lieu de résidence. Ensuite, il faut enregistrer le moyen de transport utilisé par le visiteur pour venir de son lieu de résidence au musée, puis estimer le temps alloué à la visite spécifique du musée dans l’ensemble du séjour du touriste. Pas simple. Certains lieux se tournent vers l’office du tourisme local pour estimer ses chiffres, d’autres optent pour une étude de la mobilité des publics, plus chronophage, qui consiste à interroger sur une période déterminée un panel de visiteurs sur leur trajet parcouru, moyen de locomotion utilisé, raison de visite, etc., puis d’extrapoler ces données à l’année complète.

Une fois toutes ces données récoltées, intervient l’étape de leur conversion en quantité d’émissions de GES. Puisqu’il est rarement possible de mesurer directement les émissions générées par une activité, un calcul doit être fait : chaque donnée d’activité est multipliée par un facteur d’émission. Régulièrement mis à jour, ces facteurs sont fournis par des bases de données. La plus utilisée est la Base Empreinte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) bien qu’il en existe de nombreuses autres plus ou moins généralistes (Ecoinvent, Exiobase, etc.). Par exemple, pour un passager d’un vol long-courrier, le facteur est estimé à 0,152 kg de CO2 eq émis par kilomètre parcouru, selon la Base Empreinte.

Que retenir de l’empreinte carbone des musées ? D’une part que ces derniers n’ont pas la main sur une très grande part de leurs émissions de GES et d’autre part que les calculs restent encore très approximatifs. Mais cela ne doit pas empêcher les musées d’apporter leur écot à la réduction de ces émissions.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°636 du 21 juin 2024, avec le titre suivant : Écologie, le bilan carbone des musées

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