À Paris, l’exposition qui s’annonce en octobre prochain à la Bourse de commerce, sobrement intitulée « Arte povera », est importante à plus d’un titre. Dans sa curation, tout d’abord, car elle fera sans doute référence par la qualité des œuvres présentées. Mais qu’elle ait lieu, ici et maintenant, raconte aussi quelque chose de notre époque.
Le mouvement d’avant-garde Arte povera – qu’on a peut-être trop vite traduit par « art pauvre » – est né en Italie dans les années 1960, et a sans doute été l’un des plus fertiles de l’art contemporain. Il a placé au centre de sa création une critique radicale de la société de consommation, dans un contexte d’après-guerre de contestation de l’impérialisme américain. Il a fait usage de matériaux simples, le plus souvent naturels ou récupérés, comme le land art aux États-Unis.
En cela, il entretient un dialogue nouveau avec nous qui, dans un contexte global d’écoresponsabilité, nous interrogeons sur nos comportements et nos actions afin de contrarier une aggravation climatique sans précédent. Le militantisme décroissant avant l’heure de l’Arte povera entre en résonance inédite avec les enjeux auxquels est confrontée aujourd’hui une création contemporaine qui, à certains égards, a pris en charge les problématiques actuelles.
Les institutions muséales réfléchissent déjà à réduire leur empreinte carbone, avec plus ou moins de pertinence, comme l’expose l’enquête approfondie du Journal des arts (n° 636 du 21 juin 2024). Des associations travaillent à promouvoir une création durable en organisant des espaces de débat (Les Ateliers de la terre) ou en dotant des prix (COAL, Coalition pour l’art et le développement durable). Et les artistes aussi investissent ces nouveaux champs d’engagement. Même si, comme le montre l’enquête – entre 65 et 90 % des émissions de gaz à effet de serre concernent la mobilité des publics, et jusqu’à 99 % pour le Musée du Louvre –, les mesures adoptées ne résoudront pas le problème, loin de là. Mais elles ont une valeur exemplaire que la société attend généralement des milieux de la culture.
Plus encore, du côté des créateurs, c’est la portée symbolique de telles prises de position et actions qui est attendue. On pourra dire, justement, que le symbolique est ce qui n’a pas d’effet. Mais ce serait ignorer deux faits : le symbolique n’est-il pas le terrain privilégié des artistes ? Et, plus encore, ce symbolique n’est-il pas une manière, comme l’histoire a pu le montrer, de poser un vocabulaire et des images sur les choses, leur permettant d’exister ? « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire », expliquait le philosophe Ludwig Wittgenstein dans son Tractatus logico-philosophicus. Poser des mots et des signes sur les faits est, à l’inverse, une manière de les faire exister et de les déplacer dans le champ de la pensée. C’est en ce sens, aussi, que l’art est profondément pédagogique.
Des artistes comme Wim Delvoye ou Éva Jospin, qui utilisent le carton, se sont depuis quelques années inscrits dans une démarche d’upcycling, autrement dit de recyclage valorisant les matières usagées. D’autres, comme l’artiste franco-américaine Suzanne Husky, dont on peut encore voir l’exposition « Histoire des alliances avec le peuple castor », à Châteaudun (28), investissent frontalement le champ de la sensibilisation. Une création low qui n’est pas, espérons-le, un effet de mode mais une tendance profonde amenée à se développer. Inspirer le changement : n’est-ce pas ce qu’on attend de l’art et des artistes ?
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Inspirer le changement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°778 du 1 septembre 2024, avec le titre suivant : Inspirer le changement