SEATTLE / ÉTATS-UNIS
Le Seattle NFT Museum a ouvert ses portes à la fin du mois de janvier dans cette ville du Nord-Ouest Pacifique. Il présente des œuvres d’art numérique sur écran et des panneaux de textes informatifs sur les NFT.
Seattle (Washington). Casquette floquée au logo de son nouveau musée, gobelet de café en main, sweat à capuche noir et baskets blanches aux pieds, Peter Hamilton accueille les visiteurs avec le sourire. Ce quadragénaire originaire du Texas est un nouveau venu dans le monde de l’art. Il vient de créer avec Jennifer Wong, son épouse, le premier musée au monde consacré aux NFT, ces fameux « jetons non fongibles » qui permettent de certifier la propriété d’une œuvre physique ou (le plus souvent) virtuelle. Le « Seattle NFT Museum » que le couple a inauguré à la fin du mois de janvier est le fruit de leurs deux passions communes : l’art contemporain, qui conduit ces deux collectionneurs à fréquenter assidûment sur leur temps libre foires et galeries, et les nouvelles technologies, qui occupent leur vie professionnelle pour tous deux bien remplie.
Arrivé à Seattle il y a dix-sept ans comme baryton dans le chœur de l’opéra de la ville, Peter est aujourd’hui chef de la division commerciale chez Roku, le géant californien du streaming et de la télévision connectée ; Jennifer, elle, est cheffe de la division développement durable chez Convoy, « le Uber des camionneurs ». « Nous ne sommes pas des professionnels de l’art ou des NFT, nous sommes en train d’apprendre, comme tout le monde » : l’amateurisme en bandoulière, Peter explique avoir eu l’idée d’un musée entièrement consacré aux NFT après avoir visité plusieurs galeries new-yorkaises qui en exposaient. « Nous nous sommes demandé ce que cela pouvait représenter, pour quelqu’un qui n’y connaîtrait rien, de visiter ces galeries. On s’est vite dit qu’il faudrait un endroit pour faire un peu de pédagogie », poursuit-il. Le Seattle NFT Museum était né.
Situé à Belltown, faubourg branché niché entre le bouillonnant centre-ville d’affaires de Seattle et le grand parc qui a accueilli l’Exposition universelle de 1962, le musée participe d’un effort de ses concepteurs « pour redonner vie au quartier après la pandémie ». Le couple, qui y a élu domicile, a vu la situation se dégrader avec la crise sanitaire et souhaite « recréer du lien ». Dans une ville devenue l’un des principaux centres américains de l’économie de la « tech » avec près de 50 000 emplois créés dans ce secteur sur les cinq dernières années, le projet a de quoi séduire une foule de gens passionnés par le « Web 3.0 », le prochain chapitre de l’histoire d’Internet, celui du « métavers » et des cryptomonnaies. Le couple fait aussi le pari d’attirer les néophytes : « Nous voulons être un lieu propice aux conversations et aux découvertes, développe Jennifer. Aussi vivantes que soient devenues les communautés en ligne autour des NFT, rien ne peut vraiment se substituer à l’expérience physique des œuvres, à côté de quelqu’un d’autre. » Sa conviction est claire : « On a besoin des deux mondes. »
D’apparence, le musée fait plutôt très « ancien monde » : l’espace de 300 m2, finalement assez modeste, qu’il occupe au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation lui donne même des airs de galerie conventionnelle. « Nous voulions que le visiteur retrouve le fameux “white cube” des musées et des galeries, pour ressentir une certaine familiarité », commente Peter. Pour afficher les œuvres, 30 écrans haute définition offerts par Samsung, partenaire du musée, sont alignés à même hauteur sur les murs d’une blancheur immaculée, accompagnés de cartels explicatifs. Si Peter et Jennifer ont choisi de nommer leur lieu « musée » plutôt que « galerie », c’est qu’ils ne prennent pas part aux transactions : les œuvres sont prêtées directement par les artistes ou les collectionneurs et, si certaines peuvent se trouver sur le marché virtuel au moment de leur exposition, le couple ne touche aucune commission. On se demande, pour autant, si le terme « musée » n’est pas un peu ambitieux pour un espace si réduit.
« L’autre différence, c’est que nous voulions aussi pouvoir donner du contexte aux œuvres et ne pas partir du principe que le visiteur arrive avec une connaissance préalable de ce qu’il vient voir », ajoute Jennifer. L’effort pédagogique est réel, il est vrai. « Je n’ai pas encore tout compris mais je crois quand même que je comprends un peu mieux comment ça marche », nous confiait un visiteur à la sortie. Dès l’entrée, un mur entier de texte, touffu mais complet, explique ce que sont les NFT, comment ils s’achètent et ce à quoi ils servent. On comprend qu’il ne faut pas les confondre avec les œuvres elles-mêmes : le jeton est un certificat d’authenticité mêlé à un titre de propriété, il permet d’acheter et de vendre une œuvre dont la partie visible est généralement une image au format JPEG ou GIF, à laquelle chacun peut avoir accès. Un peu plus loin, une information est donnée sur la sécurisation des transactions tandis qu’un lexique bienvenu introduit le novice à la novlangue du milieu.
L’exposition inaugurale, que le couple a choisi de monter lui-même de bout en bout, n’a ni sujet ni découpage thématique : là, le novice risque fort de se trouver un peu perdu, les textes des cartels n’étant pas toujours très instructifs. « Nous avons voulu montrer un aperçu des différentes directions que prend aujourd’hui l’art numérique », se défend Peter : animations en 3D, dessins à la main, photographies ou « art génératif » (en clair, une œuvre se générant d’elle-même par algorithme) sont représentés. On retrouve, pêle-mêle, une dizaine d’œuvres d’artistes de Seattle, dont deux photographies de Nirvana et Kurt Cobain par Charles Peterson ; quelques paysages tridimensionnels futuristes de Blake Kathryn, véritable star du monde du crypto art ; une animation de l’artiste parisien Vincent Viriot ; et une (petite) partie de la collection virtuelle du magnat de la high-tech Aaron Bird, dont une figure pixélisée de la série des « CryptoPunks » de Larva Labs devenue célèbre depuis que l’une d’elles s’est vendue pour 11 millions de dollars (9,6 M€) l’an passé chez Sotheby’s à New York.
L’amateur averti de NFT sera sans doute ravi de voir ainsi légitimé un monde de l’art virtuel qui en est encore à ses balbutiements mais qui pèse déjà près de 25 milliards de dollars (21,8 Md€). Le néophyte, quant à lui, risque de rester un peu sur sa faim. Gageons que les futures expositions permettent d’en apprendre davantage sur le fonctionnement des communautés en ligne, les systèmes d’enchères ou les grandes figures d’un milieu décidément très éclectique.
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On a visité pour vous le premier musée des NFT
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : Un musée consacré pour la première fois aux NFT