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L’inscription des Îles Marquises à l’Unesco : « une perception océanienne du patrimoine »

Par Sindbad Hammache · lejournaldesarts.fr

Le 31 juillet 2024 - 724 mots

ÎLES MARQUISES / POLYNESIE FRANÇAISE

Le dossier polynésien porte une vision décloisonnée du patrimoine naturel, matériel et immatériel, que présente son coordinateur Anatauarii Tamarii.

Îles Marquises Hervé, 2013 CC BY-SA 2.0
Îles Marquises.
© Hervé, 2013

Alors que la 46e session du patrimoine mondial de l’Unesco s’achève ce mercredi 31 juillet à New Dehli, les équipes du dossier des Îles Marquises – Te Henua Enata sont de retour à Tahiti. Lundi 29, c’est avec émotion que les six hakaiki (maires) des îles célébraient à Papeete l’inscription de l’archipel sur la liste du patrimoine mondial, en présence du président polynésien, Moetai Brotherson, et de la ministre déléguée chargée des Outre-Mer, Marie Guévénoux.

Initié en 1996 sous l’impulsion du leader local Lucien Kimitete, le processus d’inscription aura été un long chemin. « C’est un dossier qui aura pris du temps, parce qu’il fallait répondre à des enjeux complexes, trouver le juste langage auprès des communautés locales, et retranscrire cette pensée océanienne dans un langage standardisé », explique Anataurii Tamarii, archéologue coordinateur du projet d’inscription.

A trois heures de vol de Tahiti, les Îles Marquises sont honorés depuis le 26 juillet de l’inscription sur la liste du patrimoine mondial : un bien mixte, à la fois culturel et naturel, qui accorde également une importance centrale au patrimoine immatériel et au rôle des communautés locales, les quelques 10 000 habitants qui peuplent les six îles principales de l’archipel. « La distinction entre patrimoine culturel matériel et immatériel est très occidentale, note ainsi le coordinateur du dossier. En Océanie, on ne peut pas évoquer le patrimoine, sans tous les récits, la cosmogonie qui gravitent autour. »

Côté patrimoine naturel, ce sont les paysages spectaculaires des îles volcaniques, leur biodiversité endémique, et fragile, qui ont été distingués. Le volet culturel du dossier repose sur les nombreux vestiges témoignant de l’adaptation des Marquisiens à leur environnement escarpé, à l’image des paepae, des terrasses en pierre volcanique. « Les Îles Marquises sont celles où l’inventaire du patrimoine archéologique est le plus complet en Polynésie, et toutes les vallées n’ont pas encore été inventoriées », précise Anataurii Tamarii. Le plan de gestion du bien Unesco se fixe l’objectif d’un inventaire exhaustif d’ici 2030.

Devant le Comité du patrimoine mondial, les porteurs du dossier ont défendu la réintégration du critère de sélection 6, qui distingue un bien « associé à des évènements et des traditions vivantes […] ayant une signification universelle exceptionnelle ». L’évaluation de l’ICOMOS, organe consultatif de l’Unesco, avait en effet recommandé d’abandonner ce critère, au profit du critère 3, « un témoignage unique sur une tradition culturelle ou une civilisation ». Une « frustration » pour Anataurii Tamarii : « Ce lien entre nature, patrimoine et communautés est le ciment de notre réflexion. Nous saluons l’intervention de la délégation libanaise qui a permis de réintégrer ce critère. »

Purement culturel lorsqu’il a été lancé au milieu des années 1990, le dossier d’inscription s’est enrichi d’un volet naturel lorsqu’il est relancé en 2017. Entre-temps, le projet d’inscription a pâti de l’instabilité politique en Polynésie au cours des années 2000, puis de la concurrence d’un autre dossier polynésien, Taputāpuata, inscrit en 2017 sur la liste de l’Unesco. En 2021, le dossier connaît un coup de projecteur, avec le déplacement d’Emmanuel Macron dans l’archipel, et une déclaration de soutien à ce projet financé par le gouvernement polynésien. « On doit cette inscription à l’acharnement des maires des îles Marquises, ce sont vraiment eux qui ont fixé ce cap et qui se sont mis d’accord sur une même vision de développement pour l’archipel », retrace le coordinateur.

« C’est aussi grâce aux prémices d’une perception du patrimoine où l’Homme est au centre, depuis 2007 et l’implication des communautés Maori dans un processus Unesco en Nouvelle-Zélande » ajoute Anatauarii Tamarii. Dans le plan de gestion du bien des îles Marquises, les Enata (les Hommes en marquisien) sont placé au centre de la démarche : « il faut qu’il soient intégrés comme des acteurs de premier plan, ce n’est pas seulement "une consultation et basta" ». L’extension des protections patrimoniales se fera ainsi en concertation avec les habitants, dont certains exprimaient une certaine réticence, et faisaient état d’un manque d’information sur le processus d’inscription dans la presse locale.

Pour le gouvernement de Polynésie française, l’inscription fait aussi partie d’un plan de développement touristique. « Ce n’est pas caché, il y a une ambition touristique, et une réflexion sur l’ouverture d’un aéroport régional aux Marquises. Mais il faut contextualiser la chose, l’insularité fait que tout est cher, le risque de sur-tourisme est donc limité. Ce ne sera pas Venise ! », veut rassurer Anatauarii Tamarii.

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