DOHA / QATAR
À l’heure où ses voisins se tournent vers les institutions occidentales les plus prestigieuses, le Qatar mise sur la culture du monde islamique.
Capitale du Qatar, Doha se rêve en mégalopole culturelle. Conscient comme ses voisins des limites des réserves pétrolières du golfe Arabo-Persique et de la nécessité de développer d’autres activités, l’émirat indépendant depuis 1971 a connu d’importantes réformes politiques mais aussi culturelles avec l’arrivée au pouvoir en 1995 de l’émir cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani. Réputée cultivée et ouverte, la famille royale s’est lancée dans un programme d’envergure pour doter Doha de structures capables de rivaliser avec les institutions du monde entier. Créée en 1995 par l’émir et Sheikha Mozah Bint Nasser al-Missned, la « Fondation du Qatar » gère le nouveau pôle d’universités dont les constructions se multiplient dans les campus de l’Education City, abritant nombre d’universités américaines (Carnegie Mellon, Georgetown, Texas A & M, Commonwealth de Virginie ou le collège médical Weill de l’université Cornell…).
Collections remarquables
Parallèlement aux projets éducatifs, l’émir a lancé un impressionnant chantier muséal, qui se concrétisera le 22 novembre avec l’ouverture, sur une île artificielle spécialement conçue pour l’occasion, du Musée d’art islamique (MIA). Premier d’une longue série, le MIA est une immense structure d’une surface de 35 000 mètres carrés confiés à l’architecte Ieoh Ming Pei et dont l’aménagement des espaces intérieurs revient à Jean-Michel Wilmotte (lire le JdA no 283, 6 juin 2008, p. 5). Prochaine institution annoncée : le Musée d’histoire nationale du Qatar, à Doha, qui va faire peau neuve sous la houlette de Jean Nouvel dont le projet vient d’être retenu. Ses futurs espaces s’articuleront autour de six grandes thématiques : « La terre », « Les origines », « L’installation historique », « Le Qatar et la mer », « La vie nomade » et « Les merveilles de la nature ». À l’heure où les Émirats arabes unis tels Abou Dhabi ou Dubaï préfèrent miser sur des infrastructures fournies clefs en main par de prestigieux musées occidentaux, le postulat de Doha est intéressant, car tourné vers sa propre culture, celle du monde arabo-musulman. Très actif sur le marché de l’art depuis le début des années 1990, le Qatar a acquis quantité de lots dans de nombreux domaines (art ancien, manuscrits et enluminures, textiles, bijoux, photographies, fossiles, bibliothèques entières, céramiques et bronzes, créations modernes ou contemporaines) dans le but de constituer des collections cohérentes destinées aux musées de Doha. Les principales acquisitions ont été réalisées par le cheikh Saud al-Thani (cousin de l’émir du Qatar), conseillé par des personnalités comme Olivier Watson, ancien conservateur du Victoria & Albert Museum à Londres et actuel directeur du Musée d’art islamique. Après avoir dépensé des fortunes, le cheikh Saud a été écarté de ses fonctions (lire le JdA no 212, 1er avril 2005, p. 3), mais il aura eu le temps de doter le Qatar de collections remarquables. Pour concevoir les écrins destinés à les abriter et les exposer, le pays a fait appel aux stars de l’architecture. Les gestes architecturaux qu’ils ont imaginés sont tous uniques en leur genre.
Un « minaret de la connaissance »
Outre le MIA, deux autres musées aux ambitions internationales doivent voir le jour entre 2010 et 2015 : un musée d’art contemporain et un Muséum d’histoire naturelle. Les deux institutions seraient installées dans l’immense « Bibliothèque nationale du Qatar » que s’apprête à construire l’architecte japonais Arata Isozaki. Riche de deux millions d’ouvrages, en langue arabe et étrangère, la bibliothèque a été conçue comme un « minaret de la connaissance ». Composé de trois colonnes constituant chacune une tour haute de 120 mètres, le bâtiment devrait offrir 22 000 m2 de surface utile. Construction dynamique ascensionnelle, la bibliothèque s’élèvera le long de la corniche de Doha, au centre des hôtels luxueux du quartier.
Seront rassemblées dans les espaces du futur Muséum quelques-unes des nombreuses acquisitions réalisées au cours de ces dernières années : des gemmes et pierres précieuses, des fossiles, le squelette d’un dinosaure au complet ou encore la première édition du portfolio Les Oiseaux d’Amérique – 430 planches grandeur nature peintes à la main et publiées entre 1830 et 1839 – de John James Audubon, emportée chez Christie’s, à New York, en mars 2000 contre plus de 9 millions d’euros. Le chef du projet de cet établissement n’est autre qu’Hubert Bari, à qui l’on doit l’exposition « Diamants », organisée en 2001 au Muséum national d’histoire naturelle à Paris. Concernant le musée d’art contemporain, peu d’informations ont filtré, si ce n’est que Doha cherche à acquérir nombre de pièces d’artistes modernes tel Fernand Léger. Abdullah al-Najjar, président-directeur général exécutif de l’Autorité des musées du Qatar, nous a par ailleurs récemment fait part de sa volonté de créer un « village des arts » comportant des galeries et résidences d’artistes.
Enfin, le « Musée de la photographie », dont la construction est prévue dans les prochaines années, abritera une collection de 15 000 pièces, parmi lesquelles près de 1 600 appareils photographiques et 400 daguerréotypes. Conçu par l’architecte espagnol Santiago Calatrava, l’édifice pourrait représenter un œil dont les cils s’ouvrent et se referment en fonction des flux de lumière. Le Qatar avait bouleversé le marché de la photographie en 1999, à Londres, lors de la dispersion de la collection André Jammes. L’émirat avait acquis La Grande Vague, Sète, de Gustave Le Gray, déboursant plus de cinq millions de francs, un record absolu pour le médium. Il a ensuite acheté d’autres ensembles pour des montants importants, telle la collection allemande Bokelberg, estimée 13 millions d’euros.
Émergeant des plaines désertiques du Qatar, Doha la cosmopolite – la grande majorité de la population est non qatarie – promet d’occuper la scène culturelle internationale de ces prochaines années.
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Doha, nouvelle capitale culturelle ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°291 du 14 novembre 2008, avec le titre suivant : Doha, nouvelle capitale culturelle ?