La folie des grandeurs

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2008 - 1267 mots

Une ville entière érigée sur le modèle lyonnais, la plus grande tour du monde, des îles artificielles formant la carte du monde : Dubaï dépense sans compter pour devenir la première destination touristique au monde.

L’été dernier, le Vitra Design Museum, en Allemagne, consacrait une exposition intitulée « Dubaï Next : construction d’une culture du XXIe siècle ». Visions d’un monde en perpétuel chantier où des buildings spectaculaires émergent du désert et pivotent sur eux-mêmes, où des îles artificielles s’imposent au beau milieu du golfe Arabo-Persique. Avec un commissariat confié par l’émirat conjointement à Rem Koolhaas – l’architecte hollandais dirige plusieurs chantiers à Dubaï – et au Palestinien Jack Persekian, le propos tentait d’esquisser l’identité culturelle de cette cité cosmopolite où cohabitent 200 nationalités différentes. Dans la course effrénée aux équipements touristiques et culturels de luxe que se livrent les pays du Golfe, les projets de Dubaï apparaissent sans conteste comme les plus démesurés. En témoigne la « Burj Dubaï » qui, une fois achevée d’ici à la fin de l’année, deviendra, avec ses 850 mètres de haut, la plus haute tour du monde. Abou Dhabi, sa principale rivale, la capitale et le plus riche des sept Émirats arabes unis, s’offre le Musée du Louvre et la Sorbonne : qu’à cela ne tienne, Dubaï surenchérit et annonce l’ouverture future d’un « musée universel » tout en lançant un faramineux projet urbain en partenariat avec la ville de Lyon ! Baptisé « Lyon-Dubaï City », ce vaste quartier de 400 hectares conçu sur le modèle lyonnais doit être livré en 2012. Il ne s’agit pas d’un « Lyon en carton-pâte » avec des immeubles de type haussmannien ou d’« un nouveau Las Vegas », soutient Jean-Paul Lebas, l’urbaniste en charge du projet, mais bien de « restituer une atmosphère urbaine ». « Nous voulons contribuer à l’invention d’une grande ville du futur, à partir de l’esprit lyonnais, de nos valeurs, de notre modèle de développement et de notre créativité », déclarait encore Gérard Collomb, le maire (PS) de Lyon lors du protocole d’accord signé le 9 janvier avec Buti Saeed al-Gandhi, président d’Emivest, le plus grand investisseur dubaïote. D’abord estimé à 500 millions d’euros, le projet dépasserait finalement le milliard d’euros. Près de 3 000 logements, des bureaux, hôtels et commerces devraient y être construits, ainsi qu’une école hôtelière sous la houlette de l’Institut Paul-Bocuse ; une université francophone chapeautée par l’université Lyon-II délivrant des masters de mode, droit international ou sciences économiques ; un pôle muséal articulé autour du Musée des tissus de Lyon ; une cinémathèque via l’Institut Lumière et même un centre de formation sportif mis en place avec l’Olympique lyonnais. La municipalité du Rhône ne cache pas sa joie quant aux nombreuses opportunités économiques qui s’offrent aux entreprises de l’agglomération. C’est aussi en ces termes que le Musée des tissus, un établissement rattaché à la chambre de commerce et d’industrie de Lyon, voit sa collaboration avec Lyon-Dubaï City. « Dès son origine, le Musée des tissus a été conçu comme un outil de développement économique de l’industrie lyonnaise et de la ville en général ; nous renouons avec cette tradition », note Marie-Anne Privat-Savigny, sa directrice, précisant que le musée sera fourni clef en main à l’émirat. Concrètement, le Musée des tissus organisera cinq expositions tous les deux ans et sur une période de dix ans, assumant toute la chaîne de l’élaboration, depuis le choix des œuvres et du thème jusqu’au montage final et à la scénographie. Un bâtiment sera spécialement construit pour abriter ces œuvres textiles dont la fragilité exige des conditions de conservation draconiennes. La création d’une liaison aérienne Lyon-Dubaï spécifique pourrait intensifier un peu plus les échanges entre les deux villes.

Stars et jet-setters
Les musées allemands, qui ont, de leur côté, été sollicités pour la création du « musée universel » de Dubaï (lire le JdA no 283, 6 juin 2008, p. 40), souscriront au prêt d’œuvres d’art à la manière du Louvre-Abou Dhabi. Les conservateurs des musées d’État de Berlin et Dresde ainsi que celui de la Pinacothèque de Munich apporteront aussi leur expertise à l’Autorité pour la culture et les arts de Dubaï (DCAA), le but étant de constituer à terme un fonds propriété de l’émirat. Les directeurs des établissements allemands préfèrent parler de « dialogue interculturel » entre l’Europe et les pays du Golfe plutôt que de location d’œuvres. L’édifice doit être conçu par Rem Koolhaas et les premières expositions sont attendues dès 2010.
Le projet le plus impressionnant de Dubaï demeure « The Palm Islands », trois îles artificielles reprenant le dessin d’un palmier, construites d’ici à 2013 au large du golfe Arabo-Persique pour accueillir les stars et jet-setters venus du monde entier. Prévu pour 2014, le « Waterfront » doit encore doter l’émirat de 70 kilomètres de côtes supplémentaires, et attirer une population active évaluée à plus de 300 000 personnes – politique des records oblige, il abritera « le plus » grand centre commercial au monde. Évoquons enfin ce projet au titre équivoque : « The World », un ensemble de 250 à 300 petites îles artificielles reproduisant un planisphère géant dont le budget global est estimé à 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros). Cédée entre 6,2 à 36,7 millions de dollars, chaque île doit adopter le contour du pays dont elle reprendra également quelques caractéristiques. Ce nouveau « World » abritera une île entière consacrée à la mode. Karl Lagerfeld vient d’être chargé du design des 80 villas résidentielles de cette « Isla Moda » qui comptera aussi des boutiques, des ateliers de création et des espaces pour les défilés. Quatre autres « grands couturiers » doivent y apporter leur contribution. Ces projets éblouissants ne sauraient masquer une réalité tout autre, celle des travailleurs immigrés, majoritairement originaires d’Asie (Inde, Pakistan, Bangladesh), lesquels, dans une situation souvent précaire, après s’être vu soustrait leur passeport en échange d’un permis de travail, érigent sous le soleil de Dubaï ces folles constructions destinées à capter l’attention du monde entier.

Le Bahreïn en piste

Presque six fois moins grand que Dubaï, le royaume de Bahreïn, l’un des sept Émirats arabes unis, a lui aussi mis sur pied un vaste programme culturel et urbain. Outre l’actuel Musée national et la Maison du Coran, dévolue aux arts islamiques (avec sa bibliothèque riche de 50 000 volumes), le Bahreïn doit bientôt se doter d’un établissement culturel, à la fois musée et centre de recherche. C’est Tadao Ando qui en a dessiné les contours pour une ouverture prévue en 2010, tandis que les travaux devraient démarrer avant la fin de l’année. L’édifice se compose d’un rectangle divisé en deux triangles, le plus grand étant attribué aux collections, l’autre aux activités scientifiques. Il devra notamment accueillir les fruits des nombreuses fouilles archéologiques menées sur ce territoire, dont l’histoire de certains sites remonte au IIIe millénaire avant notre ère. Zaha Hadid devrait, quant à elle, construire un « Musée d’art contemporain », bâtiment aux allures futuristes érigé sur la mer. Le Bahreïn a déjà montré l’intérêt qu’il porte à l’art contemporain avec son Centre d’art Riwaq créé il y a dix ans pour exposer les jeunes artistes du pays. Les Français d’Architecture-Studio se sont, pour leur part, vus confier la conception du Théâtre national dans la ville principale d’Al-Manama. Une vaste structure de 10 000 m2 comprendra un grand théâtre de 750 places, un plus petit de 150 places et un espace d’exposition (lire p. 24). Enfin, l’urbaniste Jean-Paul Lebas (en charge du futur « Lyon-Dubaï City », lire ci-contre) est en train de construire la ville nouvelle de « North Bahreïn ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°291 du 14 novembre 2008, avec le titre suivant : La folie des grandeurs

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