Le Louvre vient de s’affranchir de deux dogmes et c’est tant mieux. Le premier est l’obligation d’accrocher La Joconde à côté des peintures de la Renaissance italienne.
Le musée présente ses tableaux par Écoles de peintures. Jusqu’à aujourd’hui, le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci devait donc figurer à côté de « l’extraordinaire collection de peintures vénitiennes du XVIe siècle, l’une des plus importantes rassemblée hors de Venise », Giorgione, Tintoret, Titien, Véronèse… comme il était proclamé.
Afin de respecter ce dogme, le portrait de Monna Lisa a connu des déplacements et beaucoup de travaux pour – assurait-on toujours – améliorer le confort du visiteur. Il rejoint en 1966 la plus vaste salle du palais, celle dite des États. Car depuis son vol en 1911 par un Italien et sa réapparition deux ans plus tard, il était déjà devenu une « icône », voire l’œuvre la plus célèbre au monde. En 1992, il retourne dans la Grande Galerie. Étrange décision de l’établissement, appelé désormais Grand Louvre, qui ne résistera pas au flux croissant des visiteurs. Trois ans plus tard, il retrouve la salle des États que la direction du musée décide de réaménager en 1998 afin de créer un écrin à part entière pour le tableau. Depuis 2005, il trône au centre de cette salle derrière une vitrine pour encore mieux le protéger. En 2019, la salle des États est repeinte en bleu. Tout cela en vain. Tous les visiteurs se plaignent. Ceux qui veulent voir prioritairement et peut être seulement La Joconde, ainsi que les autres qui veulent contempler les peintures tout autour. Les premiers piétinent dans la file d’attente, constatent qu’ils la voient moins bien qu’en reproduction, car ils en sont loin. Remarquent-ils aussi que la peinture est altérée par un filtre jaune résultant des nombreuses couches de vernis posées lors de restaurations ? Les couleurs ont muté, le bleu du ciel est devenu vert, les parties basses de la composition sont assombries. L’originale est devenue presque invisible, mais c’est son image actuelle qui fait foi.
En face, est accroché le plus grand tableau du musée, Les Noces de Cana de Véronèse (6,77 x 9,94 m). Si le visiteur ne s’est pas documenté, il sera surpris, voire déçu, par le moyen format (79,4 x 53,4 cm) choisi par Léonard. L’impression « d’un timbre poste », comme le reconnaît le conservateur en chef chargé de la peinture italienne du XVIe siècle, Vincent Delieuvin. Les autres visiteurs fustigent le mur de mains brandies pour photographier « l’icône », la bousculade, le vacarme. 80 % des 8,9 millions de visiteurs annuels viennent au Louvre pour La Joconde, soit 20 000 personnes par jour.
Reprenant ce ratio, connu déjà depuis quelques années, Laurence des Cars, présidente-directrice du Louvre en tire, avec dit-elle l’appui des conservateurs, une autre conclusion que ses prédécesseurs : accrocher La Joconde seule dans une salle spécifique, hors du parcours italien. Rupture historique. Il n’est pas sûr que les passionnés percevront mieux leur fétiche pour les raisons évoquées plus haut, mais veulent-ils la contempler ou surtout être en sa présence, faire un selfie ? En revanche, il est évident que les autres visiteurs – ceux qui souhaitent jouir des peintures vénitiennes ainsi que des quatre autres Léonard – profiteront de cet isolement. Et c’est le plus important dans cette décision. Admettre que le tourisme de masse ne vient pas pour la Renaissance italienne mais pour La Joconde. Abdication de la mission éducative du musée au profit du tourisme ? Non, réponse face à une réalité incontournable.
Cette salle isolée devrait avoir une entrée dédiée. Voilà, un deuxième dogme affranchi, celui de l’entrée unique érigé depuis la pyramide. Il avait déjà été écorné, mais avec un accès spécifique pour « l’icône » du palais, son inconséquence est enfin reconnue… in petto.
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La Joconde : un dogme tombe, puis un autre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°636 du 21 juin 2024, avec le titre suivant : La Joconde : un dogme tombe, puis un autre