Galerie - Ventes aux enchères

BILAN ANNUEL

Pourquoi le marché de l’art a chuté en 2024

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2025 - 1053 mots

Le rapport rédigé par Claire McAndrew montre une année 2024 difficile pour le marché de l’art, avec une forte baisse en Chine et des ventes aux enchères en recul de 25 %.

La Chute d'Icare, détail du plafond à caissons de la Chambre du Roi au Château d'Oiron, inspiré d'une gravure de Hendrik Goltzius (1558-1617) - Photo Jean-Pierre Dalbéra - CC BY 2.0
La Chute d'Icare, détail du plafond à caissons de la Chambre du Roi au Château d'Oiron, inspiré d'une gravure de Hendrik Goltzius (1558-1617).

Bâle (Suisse). Le « marché » est prudemment optimiste pour 2024, estimait l’an dernier le rapport annuel mené par l’économiste Clare McAndrew (The Art Basel and UBS Global Art Market Report 2024), constatant une baisse de 4 % de son chiffre global en 2023. Le « marché » n’a pas toujours raison, puisque le marché de l’art mondial a lourdement chuté de 12 % en 2024 selon le nouveau rapport. Derrière ce chiffre qui le replace quinze ans en arrière, la situation est plus complexe et contrastée que ce que recul semble indiquer.

À commencer par le comportement des acheteurs, puisque c’est le déterminant principal d’un marché. Tous les commentaires entendus depuis plusieurs mois pointent la situation géopolitique (la guerre en Ukraine et dans le Moyen-Orient) et économique pour expliquer la moindre appétence pour l’art des collectionneurs. Selon des données d’UBS, alors qu’en 2022 les plus fortunés allouaient 24 % de leur patrimoine à l’achat d’œuvres d’art, ce taux a diminué à 15 % en 2024.

Mais c’est essentiellement l’incertitude et le manque de confiance dans le futur proche qui ralentissent les achats, car les fondamentaux économiques sont bons. Le PIB mondial a augmenté de 3,3 % contre une moyenne de 3,7 % ces dix dernières années, et l’inflation a continué à baisser pour s’établir à 5,8 % en 2024 alors qu’elle était de 8,7 % en 2022, une année faste pour le marché de l’art. Même les taux d’intérêt poursuivent leur descente, permettant aux acheteurs d’emprunter à moindre coût (le rapport indique que 43 % des acheteurs empruntent pour acheter de l’art). Les milliardaires se portent même de mieux en mieux, il y en a 259 de plus en 2024 et leur patrimoine a augmenté de 20 %. Ce sont donc des considérations plutôt psychologiques qui poussent les investisseurs à préférer la pierre ou l’or aux œuvres.

La Chine dévisse

La situation économique est cependant un facteur explicatif du plongeon, du moins dans une Chine confrontée à une croissance modérée (donc faible, compte tenu de ses enjeux de développement) et des tensions déflationnistes. Le chiffre d’affaires en Chine continentale et à Hongkong a chuté de 31 % tandis qu’il a baissé de 9 % aux États-Unis et de seulement 5 % en Grande-Bretagne (la situation de la France est décrite plus en détail page 26). La Chine repasse en troisième position avec 15 % du marché mondial derrière les États-Unis (43 %) et la Grande-Bretagne, laquelle retrouve sa deuxième place (18 %) malgré le Brexit. Le plongeon chinois est plus important encore s’agissant des ventes aux enchères (38 %). Il est vrai que le marché chinois avait connu une bulle en 2023 après la fin plus tardive que dans les autres pays des restrictions sanitaires liées au Covid-19.

Les ventes aux enchères dégringolent

Il n’y a pas qu’en Chine où les ventes aux enchères chutent, partout dans le monde elles se sont repliées de 25 %. Ce sont surtout les ventes en millions de dollars qui s’écroulent, particulièrement les adjudications supérieures à 10 millions de dollars : – 45 %. Et comme ce segment pèse lourd dans le chiffre d’affaires des maisons de ventes (33 %), il entraîne vers le bas le chiffre d’affaires (CA) global. À l’inverse, les adjudications en dessous de 5 000 dollars se portent plutôt bien avec une hausse en valeur de 7 %, et en volume de 13 %. La dégringolade des ventes publiques ne signifie pas que le marché est à l’arrêt, le nombre de transaction a lui augmenté de 3 %. Les grands opérateurs que sont Christie’s et Sotheby’s ont limité la casse en augmentant leurs ventes de gré à gré de 14 %, s’établissant à 4,4 milliards de dollars. Ce canal de vente ne cesse de progresser d’année en année et pèse maintenant plus d’un quart des ventes de Christie’s. Le rapport explique cette tendance par la discrétion qui entoure les ventes privées et la réduction de l’incertitude sur le prix de vente, puisqu’il est négocié entre les parties et non soumis à l’aléa des enchères. Les maisons de ventes disposent en effet d’un outil stratégique : leur base de données clientèle. Elles savent ce que leurs clients possèdent, ce qu’ils veulent acheter, combien ils sont prêts à payer. Conséquence : elles sont en mesure de mettre un acheteur potentiellement intéressé en face d’un vendeur. C’est une concurrence redoutable pour les galeries de second marché.

Les galeries s’en sortent un peu mieux

Pour autant, cette concurrence ne se fait pas (encore) vraiment sentir, à considérer la baisse de (seulement) 6 % des ventes en galeries contre – rappelons-le – 25 % en ventes aux enchères en 2024. Mais là aussi, ce chiffre masque des réalités diverses. Les grandes galeries qui réalisent un chiffre d’affaires de plus de 10 millions de dollars baissent plus que les autres : – 9 %. Et comme pour les ventes publiques, les petites galeries, celles qui réalisent un CA inférieur à 250 000 euros avec des œuvres à petit prix, annoncent un CA en hausse de 17 %. Mais dans l’ensemble, la situation des galeries dans le monde reste préoccupante : 34 % d’entre elles affirment qu’elles n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant-Covid. Elles sont par ailleurs pénalisées par la hausse des coûts (locations, assurances, transports…), en particulier ceux liés aux foires qui restent indispensables pour gagner de nouveaux clients et garder leurs artistes.

Toutes les périodes sont à la peine, et, semble-t-il, celle de l’art contemporain un peu plus que les autres, mais cela n’est pas franchement manifeste. L’art de l’après-guerre fait moins de grands prix en ventes aux enchères, mais en l’absence de chiffres précis réalisés en galeries, le CA consolidé est imprécis. Ce qui est sûr en revanche, c’est que les NFT (jetons non fongibles) continuent de s’effondrer depuis leur pic de 2021, malgré la remontée du bitcoin. Plusieurs plateformes ont fermé, notamment celle qui avait assuré l’inscription dans la blockchain de Everydays: the First 5 000 Days, de Beeple. Ces fermetures posent d’ailleurs problème pour le stockage des œuvres, souligne le rapport.

Et pour 2025 ? Les marchands sont partagés. Si 33 % des galeristes anticipent une hausse de leur CA, 19 % s’attendent à une baisse. Ils sont cependant moins nombreux que les maisons de ventes, qui sont 40 % à envisager une nouvelle baisse.

Évolution du marché de l'art mondial 2009-2024 © Arts Economics / Le Journal des Arts 2025
Évolution du marché de l'art mondial 2009-2024.
© Arts Economics / Le Journal des Arts 2025

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°653 du 11 avril 2025, avec le titre suivant : Pourquoi le marché de l’art a chuté en 2024

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