Foire & Salon - Ventes aux enchères

Paris, tête de file et tête de pont

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2012 - 1008 mots

PARIS - Paris n’est plus la capitale mondiale du marché de l’art, mais peut compter sur son réservoir d’objets d’art et le dynamisme de ses salons pour être un centre actif.

Que le lecteur nous pardonne ce petit mensonge, ce « bonus dolus » comme disent les juristes. Paris n’a pas récupéré son rang de capitale mondiale du marché de l’art ainsi que pourrait le laisser entendre la manchette, ni même la prééminence en Europe, elle n’est que la capitale du marché de l’art… en France. Cela fait bien longtemps que la Ville Lumière est descendue de son piédestal. En l’absence de chiffres précis, les historiens datent le tournant juste après la Seconde Guerre mondiale. Depuis, la France n’a cessé de perdre des parts de marché pour se stabiliser autour de 6 % en 2010, derrière les États-Unis (34 %), la Chine (23 %) et le Royaume-Uni (22 %), selon l’économiste Clare McAndrew qui publie un rapport annuel à l’occasion de Tefaf (The European Fine Art Fair). Artprice, qui mesure uniquement les ventes aux enchères d’œuvres d’art (peintures, sculptures, photographies…) à partir d’une base exhaustive de relevés de ventes publiques, estime lui le poids de la France à 4,5 %.

De nombreux rapports ont examiné les causes de ce déclin, mettant en évidence tout à la fois la fiscalité, le long monopole des commissaires-priseurs, le faible nombre de collectionneurs, la cote peu élevée des artistes contemporains français… Si ces explications ne sont pas fausses, la véritable raison est plus simple : le marché de l’art français reflète le poids économique de la France qui tourne autour de 4 % du produit intérieur brut (PIB) mondial (source FMI). Le poids du Royaume-Uni dans le marché de l’art, un pays dont le PIB est inférieur à celui de la France, est exceptionnel et ne peut que baisser. Londres a déjà perdu 12 points au profit de la Chine entre 2008 et 2011 (d’après Clare McAndrew) et la tendance devrait continuer.

Le temps économique s’est considérablement raccourci. Dans son rapport sur « Les chances de la France dans le marché de l’art » en 1999, le sénateur Yann Gaillard relevait que la France se trouvait loin derrière les États-Unis et l’Angleterre, mais il ne prédisait pas que, quelques années plus tard, elle serait distancée par la Chine. Et dans quelque temps, les autres économies émergentes vont aussi venir bousculer le classement actuel.

La France, grand réservoir d’œuvres
La place parisienne est-elle pour autant condamnée à jouer les seconds rôles dans les années qui viennent ? Pas nécessairement. Les chiffres totaux ne reflètent pas complètement la réalité du marché. Cela est particulièrement vrai pour les ventes publiques où les enchères peuvent se chiffrer en dizaines de millions de dollars. Selon Artprice, les 50 premières enchères de 2011 représentent à elles seules 11 % des ventes totales. Un point de part de marché (115 millions de dollars) représente trois Picasso vendus à hauteur de la valeur de La Lecture (1932), adjugée à Londres cette année. Le volume des transactions, le nombre de marchands, l’expertise, restent des déterminants importants du marché de l’art. Et en l’espèce, la France dispose de nombreux atouts. Le pays est toujours le réservoir le plus important d’objets d’art accumulés pendant des siècles dans des millions de foyers. Sait-on que si les deux grandes maisons de ventes que sont Christie’s et Sotheby’s vendaient en France ce qu’elles exportent hors de nos frontières, la part de marché de la France doublerait pour passer à 9 % ! Subsidiairement, ceux qui pensaient que le rachat de Christie’s en 1998 par le Français François Pinault, comme l’installation un temps envisagée du musée privé du collectionneur sur l’île Seguin, allaient inverser le flux en sont pour leurs frais. Le patriotisme économique n’existe pas. Pour en revenir au marché, le segment supérieur est devenu très spéculatif, les belles pièces sont remises en vente de plus en plus rapidement. Mais elles ne constituent que le haut d’une pyramide (certes très rémunératrice pour les intermédiaires) à la base très large.

La mondialisation en cours des économies, à laquelle participe pleinement le marché de l’art, s’accompagne d’une spécialisation régionale. Paris reste ainsi la tête de file pour de nombreux domaines : les arts premiers, le mobilier moderniste, le mobilier XVIIIe. La joaillerie française, de son côté, rayonne dans le monde et alimente un second marché très dynamique. Ce n’est pas un hasard si les grandes marques sont massivement présentes à la prochaine Biennale des antiquaires. Tête de file mais aussi tête de pont ! Après avoir accueilli le premier salon de photographies, Paris Photo – qui reste la plus importante manifestation dans le domaine –, puis le premier salon de dessin ancien, Paris abrite aujourd’hui le premier et toujours seul salon du dessin contemporain. Drawing Now s’installe progressivement dans le paysage et, rançon du succès, commence à susciter un « off » comme en témoigne la troisième édition de Chic Dessin.

Manque de collectionneurs
Le dessin contemporain, avec ses prix raisonnables, apparaît comme une porte d’entrée pour se constituer une collection. Or la France manque encore trop de collectionneurs, et notamment de collectionneurs d’art contemporain. C’est l’une des raisons, souvent pointées dans les différents rapports dont les auteurs se sont penchés depuis une dizaine d’années sur le marché français, pour expliquer son affaiblissement. Art Paris peut aussi aider à vivifier ce terreau. Sans vouloir rivaliser avec la Fiac (Foire internationale d’art contemporain), le salon avait su trouver sa place et séduire le niveau intermédiaire des acheteurs, avant les errements des dernières éditions. Les organisateurs promettent un nouveau départ. Dont acte. À défaut d’attirer les collectionneurs étrangers, Paris exporte aussi ses salons, comme en témoigne le Pavillon des arts et du design, qui a installé une bouture à Londres et à New York (cette dernière se révélant sans lendemain). Ce maillage international, lancé par Art Basel puis Frieze Art Fair, est aussi une façon d’assurer le rayonnement d’une capitale.

Note :
(1) du 30 mars au 1er avril, Atelier Richelieu, 75002 Paris.

Légende photo :
Marc Fornes, Sans titre, 2012, 240 x 240 x 240 cm, aluminium, oeuvre présentée dans le cadre d'Art Paris. Courtesy Inception Gallery, Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Paris, tête de file et tête de pont

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