Clare McAndrew est présidente d’Arts Economics, société d’étude et de conseil basée à Dublin et dédiée au marché de l’art.
Jean-Christophe Castelain : Quelle est la nature de l’activité d’Arts Economics, société basée à Dublin, que vous dirigez ?
Clare McAndrew : Arts Economics est une société d’étude et de conseil exclusivement dédiée au marché de l’art. Nous réalisons des études ad hoc sur le marché de l’art pour des clients privés ou publics internationaux. En ce moment, nos enquêtes portent sur des études macroéconomiques et des analyses sectorielles, mais nous sommes aussi spécialisés sur les politiques publiques, la fiscalité, la législation quand elles concernent l’art. Nous constatons aussi une montée de l’intérêt pour de l’investissement en art venant des banques et des services associés.
J’ai créé la compagnie en 2006 à mon retour des États-Unis et je travaille avec deux assistants d’études et, selon les projets, avec un réseau de consultants expérimentés.
J.-C. C. : Vous publiez depuis deux ans un rapport sur le marché de l’art commandité par la foire Tefaf (Maastricht) [1]. Quelle est votre méthodologie pour les données concernant les marchands, difficiles à obtenir contrairement à celles des ventes publiques ?
C. M. : Notre enquête repose sur un questionnaire adressé à 8 000 marchands dans le monde dont 800 sont basés en France. Les taux de réponse varient d’un pays à l’autre, entre 10 % et 20 %. Le fichier de base n’est pas aléatoire mais stratifié, grâce au soutien de l’association internationale des antiquaires Cinoa ainsi que de plusieurs autres syndicats professionnels. Ce fichier est complété par une base constituée des participants aux foires internationales ou présents sur Internet. Il est représentatif de la majorité des moyens et grands marchands et exclut les petits antiquaires ou galeries.
Les taux de retour sont en général suffisamment élevés pour nous donner de bonnes indications sur les tendances dans les marchés et les secteurs importants. Mais celles-ci perdent en précision dans les petits sous-ensembles (par exemple sur un secteur précis dans un pays donné). Et parce que ce type d’enquête manque de précision scientifique, je la complète par des entretiens avec des experts importants du marché. Pour les rapports de 2010, j’ai interrogé 45 marchands dans des pays clefs sur leur vision et ressenti concernant le commerce, les acheteurs, etc.
Quand j’ai terminé mon doctorat (PhD) sur l’économie du marché de l’art en 2001, et commencé à travailler aux États-Unis dans ce domaine, j’ai pensé que tout dans le marché de l’art pouvait entrer dans des modèles quantitatifs et économiques. Je pense toujours que c’est un élément de l’analyse du marché, mais les dix dernières années m’ont appris l’importance des données qualitatives.
J.-C. C. : Sur la base de vos études précédentes, dans quelle mesure la crise financière actuelle peut-elle affecter le marché de l’art ?
C. M. : Le marché de l’art mondial a crû dans des proportions incroyables au cours des dix dernières années, un doublement qui a atteint un pic de 48 milliards d’euros en 2007. On comprend pourquoi il intéresse les économistes et investisseurs. Mais les choses ont commencé à tourner en 2008 et 2009. Le ralentissement de l’économie mondiale a fortement affecté le patrimoine et les revenus des particuliers, et entraîné une baisse de la consommation, principalement aux États-Unis et en Europe.
Si le marché de l’art s’en sort moins mal que d’autres domaines du luxe, en raison de sa valeur sur le long terme, quelques secteurs du marché ont subi des replis en 2009. L’« ancien » a baissé de 33 % en 2008 pour atteindre 28,3 milliards d’euros, soit une baisse de 41 % par rapport au pic de 2007, une chute qui rappelle la récession du début des années 1990. En 2010, le marché s’est reconfiguré avec une forte hausse de 52 % (43 milliards d’euros), notamment aux États-Unis. Mais c’est surtout en Chine que l’émergence de nouveaux acheteurs a dopé toute la filière, évitant au marché une régression s’il avait été dépendant des économies européennes et américaines.
Rappelons que l’art doit être considéré comme un produit de luxe dont la demande est proportionnelle à la croissance du revenu de ses acheteurs, ce que l’on appelle une forte « élasticité revenu-demande ». La baisse du revenu des acheteurs a eu un impact négatif sur le marché de l’art. Mais il y aussi des forces positives. De nombreux HNWI [2] ont voulu rééquilibrer leur patrimoine avec des actifs moins risqués sur le long terme. L’art fait maintenant partie de ces actifs. Les achats de voitures de luxe ou de yachts ont diminué en 2008 et 2009, au profit de l’art. Ces biens sont considérés comme des objets superflus en période de crise. En revanche, si un objet d’art ou un bijou exceptionnel apparaît sur le marché, il y a toujours des riches collectionneurs pour payer le prix fort.
Le marché de l’art n’est pas déconnecté des difficultés économiques actuelles. C’est un marché très dépendant de l’offre, où la confiance des vendeurs est très importante. En 2009 nous avons assisté à une nouvelle chute du marché car les gens ont pensé que ce n’était pas le moment de vendre (bien que beaucoup d’acheteurs eussent et ont toujours de l’argent). La crise bancaire de septembre 2008 a provoqué de la méfiance chez les fortunés. Mais par la suite, même si la crise a affecté l’économie réelle et en particulier fait augmenter le chômage, cela a moins atteint les collectionneurs, qui sont revenus très vite sur le marché en 2010.
Toutefois, un autre phénomène semble se produire récemment. Malgré un marché actif, certains collectionneurs commencent à rechigner à vendre leurs pièces car ils ne savent pas comment réinvestir les liquidités ainsi obtenues, compte tenu de la baisse des rendements des autres actifs. Mais l’un dans l’autre, si le marché conserve des liquidités dans les deux ans à venir, je suis optimiste sur le futur.
De nombreux collectionneurs me disent vouloir revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire diversifier leur patrimoine, et en ce sens l’art joue parfaitement ce rôle.
J.-C. C. : Quels sont les atouts de la France dans la compétition internationale ?
C. M. : Si la globalisation du marché de l’art atténue les crises, la compétition entre les pays est plus rude. La taille du « camembert » a certes augmenté substantiellement, mais à l’intérieur du marché, la France doit se battre avec d’autres acteurs, notamment en Asie. Je pense que dans le futur, on comptera six ou sept centres névralgiques pour le marché de l’art, et au moins deux en Europe. Paris a de nombreux atouts : la densité et la qualité de son tissu de marchands, la compétence de son réseau d’experts (ce qui n’est pas le cas en Chine par exemple), son réservoir de marchandises, le dynamisme de sa création, la tradition de la collection, son infrastructure culturelle. Il faut des centaines d’années pour parvenir à cette situation, qui ne peut se produire du jour au lendemain dans les nouveaux pays. Par ailleurs, l’offre en France reste très diversifiée, et présente un bon équilibre entre transactions domestiques et internationales, ce qui amortit les fluctuations du marché. Et puis sa position géographique en fait un carrefour entre l’Angleterre et l’Allemagne, et la Chine et les États-Unis. Restent les lourdeurs administratives, le droit de suite, le cadre légal qui pèsent sur les petites entreprises. De plus, selon plusieurs marchands, certains acheteurs étrangers estiment les prix trop élevés à Paris, ce qui n’est pas toujours vrai.
[1] Dernier rapport paru : The Global Art Market in 2010, Tefaf : Helvoirt. [2] « High Net Worth Individual », une catégorie de la population dont le patrimoine, hors résidence principale, excède 1 million de dollars.
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Clare McAndrew : « Les collectionneurs sont très vite revenus en 2010 »
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Abonnez-vous dès 1 €Clare McAndrew © D. R.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : Clare McAndrew : « Les collectionneurs sont très vite revenus en 2010 »