NEW YORK / ÉTATS-UNIS
Étranglées par des loyers exorbitants et des revenus en forte baisse, les galeries doivent réduire les coûts salariaux.
Heather Hubbs ne cache pas sa déception. Directrice de NADA (New Art Dealers Alliance), un regroupement de 119 petites et moyennes galeries, elle a le sentiment que New York a lâché sa communauté artistique en pleine crise du Covid-19. « Je pense qu’ils ont de plus gros chats à fouetter, dit-elle. On parle beaucoup de rouvrir les bars, les restaurants et les magasins, mais les galeries ne sont pas évoquées par les autorités. Nous nous sentons abandonnés ».
Fermées depuis mars, elles se battent pour leur survie. Faute de suspension des loyers - seul un moratoire sur les expulsions a été adopté -, elles doivent continuer à payer un prix souvent très élevé pour un espace qu’elles n’utilisent pas. Certaines ont réussi à négocier un arrangement avec le propriétaire de leur local, mais doivent composer avec des recettes en forte baisse. Il n’y a pas d’estimation des pertes subies par les galeries , mais elles seront considérables, estime Benoist Drut, responsable de la galerie de design Maison Gerard, présente à Manhattan. « Il y aura un écrémage », assure le Français.
Lui a réussi à conserver la totalité de ses 15 employés, mais il a procédé à des réductions de salaires et demandé à son propriétaire d’encaisser son dépôt de garantie, l’équivalent de trois mois de loyer. Comme beaucoup de galeries et de PME, Maison Gerard a postulé pour un prêt du Paycheck Protection Program (PPP), le principal outil mis en place par le gouvernement américain pour soutenir les entreprises de moins de 500 employés. Pour qu’ils soient distribués plus rapidement, Washington a demandé aux banques de recueillir les demandes de prêts. Or, le flou entourant les conditions d’attribution a entraîné des délais. Par ailleurs, la demande pour cette aide fut telle que l’enveloppe débloquée par le Congrès (349 milliards de dollars) a été dépensée en quelques jours seulement, poussant les parlementaires à injecter 175 milliards de dollars supplémentaires fin avril.
« Le plus dur est de ne pas avoir de visibilité sur la date de réouverture », relève Richard Taittinger, fondateur de la galerie éponyme dans le Lower East Side (quartier du sud-est de Manhattan). Le galeriste a pu bénéficier de l’argent du PPP pour rémunérer ses quatre salariés pendant quelques mois, mais le prêt ne couvre pas les freelances (commissaires d’expositions, artistes, manutentionnaires…). Un point relevé aussi dans une pétition publiée fin mars par NADA. Dans ce texte signé par plus de 40 000 personnes, l’association regrette que les critères d’attribution des aides prévues par la Ville de New York, notamment l’obligation d’avoir au moins un employé, excluent un grand nombre de petites galeries qui fonctionnent uniquement avec des travailleurs indépendants.
Richard Taittinger est actuellement en cours de re-négociation de son loyer avec son propriétaire. « Les ventes que nous faisons en ligne ne permettent pas de couvrir le manque à gagner engendré par la fermeture de l’espace physique, dit-il. New York est l’un des endroits les plus chers au monde. Déjà avant cette crise, les prix de l’immobilier nous empêchaient de soutenir les artistes autant que nous le voulions ».
Les grandes galeries sont aussi affectées. En avril, Gagosian a annoncé la mise au chômage technique de son personnel employé à temps partiel et de ses stagiaires et a décrété une réduction de salaires pour le reste de l’équipe. Levy Gorvy, la galerie de Dominique Lévy et Brett Gorvy a, elle, procédé à des licenciements, d’après le site ArtNews. Pace a placé la moitié de ses employés à New York en congé sans solde, mais la galerie se félicite du succès de ses expositions en ligne lancées le 23 mars - « jusqu’à 5 000 visites par jour », indique Samanthe Rubell, directrice de la galerie. En outre, au premier jour de la version en ligne de la foire d’art Frieze New York (8-15 mai), Pace a enregistré « plus de treize ventes », dont un tableau du peintre britannique Nigel Cooke vendu pour 250 000 dollars. « Les collectionneurs sont fidèles à notre réputation d’excellence et cela se traduit en ligne aussi », poursuit Samanthe Rubell.
En attendant la réouverture, les galeristes font bloc. Présente à New York, la David Zwirner Gallery a ouvert sa plateforme de vente virtuelle à douze galeries new-yorkaises indépendantes. Du 20 mai au 21 juin, NADA tiendra une foire en ligne afin de lever des fonds qui seront partagés entre 200 galeries du monde entier. « À New York, les galeries ont permis de construire l’attractivité de certains quartiers, comme SoHo, Chelsea, le Lower East Side, explique Richard Taittinger. La situation est très critique pour les petites et moyennes galeries. Or, qui dit “galerie”, dit “commerces de proximité” autour, comme les restaurants ou les bars... »
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À New York, les galeries se sentent « abandonnées »
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