États-Unis - Galerie

Le tour des galeries new-yorkaises - juin 2021

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Deux rétrospectives historiques côtoient des expositions particulièrement marquées par les crises qui ont bousculé l’Amérique ces derniers mois.

New York. Ray Johnson, que le New York Times avait surnommé « l’artiste inconnu le plus célèbre de la ville » en 1965, fait en ce moment l’objet d’une grande rétrospective chez David Zwirner (Morningside Heights, Uptown). À travers plus de cinquante collages, dont beaucoup d’inédits, une dizaine de photographies et quantité de lettres et documents d’archives, on voit se dessiner les fascinations d’un artiste queer inclassable et touche-à-tout.

Exécutées entre le début des années 1950 et le suicide de l’artiste en 1995, ces œuvres, tantôt fantaisistes tantôt nostalgiques, sont autant d’hommages rendus à de grandes figures tutélaires : Arthur Rimbaud, Pablo Picasso, Max Ernst, Hannah Höch, Andy Warhol ou encore Yoko Ono. On y découvre aussi l’artiste sous un nouveau jour. Contrairement à l’image de loup solitaire qu’on lui a souvent attribuée, l’exposition met en lumière le vaste réseau de Johnson : pionnier du « mail art », il expédiait ses collages (ou leur photocopie) à travers le monde, invitant amis et connaissances à les commenter, à les partager et même à les retoucher.

La figuration très présente

Une autre grande rétrospective historique vient de s’achever chez Richard Taittinger (Lower East Side), consacrée à un chapitre peu connu aux États-Unis de l’histoire de l’art contemporain français : la Figuration Narrative. Né en juillet 1964, ce mouvement parisien qui regroupe trente-quatre artistes (parmi lesquels Valerio Adami, Eduardo Arroyo, Gérard Fromanger, Jacques Monory, Bernard Rancillac, Peter Saul et Hervé Télémaque, tous présents dans l’exposition) organise la résistance contre la victoire proclamée du pop art américain et le succès rampant des abstractions. On retiendra les paysages silencieux de la peintre brésilienne Cybèle Varela et l’ironie des grandes peintures d’histoire d’Arroyo.

Chez Philippe Labaune aussi, la figuration est à l’honneur. Récemment inaugurée, la galerie spécialisée dans le dessin d’illustration et la bande dessinée (Chelsea) présente la première exposition à New York des peintures de Miles Hyman. Organisées en deux séries, « Crash » (2021, voir ill.) et « East Coast Light » (2021), celles-ci mettent en scène des personnages féminins dans le décor d’une Amérique éternelle, inspiré par le film noir, le symbolisme européen et les images d’Edward Hopper ou de Grant Wood. L’exposition montre aussi un certain nombre des planches au fusain que l’artiste franco-américain a réalisé pour adapter en bande dessinée The Lottery de Shirley Jackson (sa grand-mère) et Le Dahlia noir de James Ellroy.

De l’autre côté de la 24e Rue, Gagosian (Chelsea) présente les six peintures de « Cage » de Gerhard Richter (2006). Peints pour la Biennale de Venise de 2007, ces grands panneaux abstraits où s’entrecroisent des lignes de couleurs appliquées inégalement au racloir portent le nom du compositeur John Cage, dont Richter écoutait la musique lorsqu’il a produit la série. Ces œuvres dialoguent avec un groupe de dessins sombres et fantomatiques que l’artiste allemand a réalisés en une seule séance au cours de l’été 2020.

Une année de crises

Un an après le début de la crise sanitaire, les expositions de cette fin de printemps se font aussi l’écho des grands questionnements qui traversent la société américaine. Chez Lisson (Chelsea), Sean Scully présente les plus récentes de ses peintures lyriques appelées « Landlines » (des lignes horizontales superposées évoquant autant d’horizons abstraits), une série qu’il a commencé en 1999 : elles sont désormais toutes masquées par un carré noir, qui évoque autant les destins empêchés par la pandémie que les grandes manifestations antiracistes de l’été dernier.

Chez Bryce Wolkowitz (Chelsea), l’exposition « The Future We Choose » revient sur une année particulièrement difficile pour la démocratie américaine et s’interroge sur son avenir. Trois grandes photographies de Stephen Wilkes mettent en scène la perspective du Mall de Washington D.C. qui conduit au Capitole et font dialoguer trois événements : l’investiture de Barack Obama (2013), celle de Joe Biden (2021) et la grande marche de soutien au mouvement Black Lives Matter d’août dernier (2020). Avec ses illustrations, Oliver Jeffers déforme, quant à lui, les symboles de la démocratie américaine : dans New Liberty (2018), une statue de la liberté défaite ne tient plus sa célèbre torche, mais une petite allumette sur le point de s’éteindre.

L’urgence climatique apparaît aussi comme un thème récurrent. Chez Jack Shainman (Chelsea), « Tristes Tropiques » donne à voir la déforestation de l’Amazonie brésilienne à travers une série de photographies aériennes de Richard Mosse. Également en français dans le texte, le titre de l’exposition de groupe annuelle de la galerie The Hole (North of Houston) en dit long sur l’état d’esprit du moment : « Nature morte ». La crise climatique constitue le thème central de ce rassemblement éclectique où se croisent jeunes artistes (Ivan Seal, Jon Young) et figures établies (Fernando Botero, Robert Lazzarini) autour d’images qui rappellent le caractère éphémère de la vie. Difficile de faire plus actuel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : Le tour des galeries new-yorkaises

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