L’an dernier a atteint des sommets en matière de ventes publiques, malgré un contexte économique morose. Mais 2023 sera-t-elle aussi faste ?
Si les chiffres globaux de l’année 2022 concernant les enchères en France n’ont pas encore été tous divulgués, on peut se faire une idée de la bonne santé du marché de l’art à l’aulne des dix premières maisons de ventes françaises qui ont déjà publié leur bilan. En cumulant leur volume d’adjudications total pour l’année écoulée, c’est 1,5 milliard d’euros (frais compris mais hors TVA), qui a été engrangé, soit une hausse de 20 % par rapport à 2021, qui était déjà une année record. Mieux, si l’on compare à l’année 2019, avant la pandémie donc, c’est une croissance de 50 % qui a été enregistrée !
À lui seul, le trio de tête constitué par Christie’s, Sotheby’s et Artcurial totalise pas moins de 1,15 milliard d’euros, chacune enregistrant sa meilleure année. Dans la suite du classement, d’autres maisons de ventes affichent une année record. Il en va ainsi de Millon, qui approche des 100 millions d’euros, d’Aguttes, d’Ader (qui franchit pour la première fois le cap des 50 millions d’euros) et de la maison bellifontaine Osenat. L’entrée directement à la 5e place de Bonhams Cornette de Saint Cyr – les deux maisons ont fusionné en juin 2022 – a également participé de ce score avec un chiffre d’affaires atteignant 89 millions d’euros, en progression de 65 %. « Nos chiffres de 2022 ne sont pas liés à une enchère de 30 millions par exemple, ce qui nous rend optimistes pour 2023 », affirme Catherine Yaiche, directrice générale de la maison de ventes.
Mais pourquoi le marché est-il si fort cette année, alors que pandémie et guerre en Ukraine sévissent toujours et que la crise énergétique et l’inflation pèsent sur le moral ? D’abord parce que 2022 a vu la dispersion de collections prestigieuses, comme celles d’Hubert de Givenchy (118 millions d’euros, Christie’s), de la famille Al Thani de l’hôtel Lambert (76,6 millions d’euros, Sotheby’s) ou encore de Rousset chez Bonhams Cornette de Saint Cyr (14,5 millions d’euros). Des chefs-d’œuvre, comme La femme qui marche, d’Alberto Giacometti (Christie’s, 27 millions d’euros) et Panier de fraises des bois, de Chardin (Artcurial, 24,4 millions d’euros), sont également arrivés sur le marché en même temps et ont boosté les chiffres.
Si la crise sanitaire a engendré une rétention d’œuvres et de collections, vont-elles continuer à affluer en 2023 ? « Je n’ai pas de boule de cristal mais la prime que le marché accorde aux provenances et aux collections devrait normalement convaincre les collectionneurs que c’est le bon moment pour vendre. C’est un cercle vertueux », estime Arnaud Cornette de Saint Cyr, président de Bonhams Cornette de Saint Cyr. Pour l’heure, peu d’informations ont circulé quant à la dispersion de grandes collections en 2023, les maisons de ventes souhaitant créer la surprise. Sotheby’s, pour sa part, a déjà annoncé la mise sur le marché, au printemps prochain, de la collection Jacques Garcia, composée de 70 lots, qu’il avait rassemblée pour son domaine de Champ-de-Bataille, ou encore le rare ensemble de la collection Elmore présentant des œuvres de Géricault, inédites sur le marché. Ces chiffres records ne cessent d’accréditer l’idée que le marché de l’art est devenu un refuge en période d’incertitude économique et financière. Aux côtés de l’or, et mieux que l’immobilier, l’art présente les vertus d’une stabilité, voire d’une croissance à moyen et à long termes des plus rassurantes. « Cela rejoint aussi une dimension de loisir, de divertissement. L’accessibilité à l’art, grâce à Internet, a atteint, non pas sa maturité mais son adolescence – une accessibilité qui n’est pas parallèle à son éducation. Et c’est là que peut être le danger. Aujourd’hui, il est plus simple d’aller s’amuser à dépenser de l’argent sur un marché comme celui de l’art », estime le commissaire-priseur Alexandre Millon.
Et cela tombe bien puisque les riches ont toujours plus d’argent à dépenser. Dans son rapport publié mi-janvier lors de l’ouverture du Forum économique mondial de Davos, l’ONG Oxfam a pointé du doigt le fait que les 1 % les plus riches ont capté 63 % des richesses produites dans le monde depuis 2020. Par ailleurs, l’organisation estime que les dix personnalités les plus riches du monde ont vu leur fortune doubler depuis le début de la pandémie, précisant que « à eux seuls, les dix premiers milliardaires français ont engrangé 189 milliards d’euros depuis 2020 ». Toujours selon Oxfam, la politique du « quoi qu’il en coûte » mise en place par plusieurs gouvernements a surtout bénéficié aux ultra-riches. Ces derniers ont en effet pu faire travailler leur argent en toute sécurité, grâce aux garanties apportées par les États et les banques centrales. Les mesures de relance ont dopé leur chiffre d’affaires et, par ricochet, les cours en Bourse. « La planche à billets a bien fonctionné pendant le Covid et il n’y a pas eu de dévaluation. L’inflation, elle, n’arrive que maintenant », ironise un observateur du marché. Déjà, le rapport A Survey of Global Collecting in 2022, publié par Art Basel et UBS en novembre 2022, indiquait que « les riches collectionneurs achètent de plus en plus » et s’était voulu rassurant sur l’année qui débute, révélant que 75 % des collectionneurs milliardaires souhaitent continuer d’acheter dans les mois à venir.
Quoi qu’il en soit, les acteurs du marché sont optimistes. « En 2023, le marché de l’art devrait continuer de faire la preuve de sa solidité. La demande mondiale pour les œuvres d’art et les objets de luxe restera forte », a prédit Guillaume Cerutti, président-directeur général de Christie’s Monde. Pour autant, cela devrait être le cas au prix de certaines conditions. « Pour que les enchères en 2023 soient tout aussi en forme en France, il va falloir garder la confiance des enchérisseurs. Et pour cela, il faudra continuer à fixer des estimations raisonnables. C’est le message fort, la condition sine qua non ! », préconise Cécile Verdier, présidente de Christie’s France. Pour Mario Tavella, président de Sotheby’s France et chairman de Sotheby’s Europe, « si les résultats en 2022 ont montré un marché très résilient, rythmé en France par des collections prestigieuses, et capable de rivaliser aujourd’hui avec les places internationales les plus fortes, la clé du succès restera cependant la même en 2023, à savoir : offrir des œuvres de qualité quelles que soit les spécialités ».
Alexandre Millon, lui, estime qu’il va y avoir une consolidation de cette tendance à la hausse, « et ce, pour une bonne raison : le marché s’adapte au fait de voir disparaître doucement Londres comme place de marché, notamment pour le moyen de gamme jusqu’à 500 000, voire 1 million d’euros, qui représente une grosse part de ce marché. Des pans entiers de spécialités disparaissent de Londres, tandis que la ville n’est plus une plaque tournante pour le Moyen-Orient. Aujourd’hui, les points de concurrence que Londres nous “volait” se sont, depuis le Brexit, retournés contre elle. Ça, c’est vraiment la chance de Paris. »
Quant aux ventes en ligne, qui ont explosé depuis le début de la crise sanitaire, elles ont continué de venir grossir les chiffres, même si un léger tassement s’est fait ressentir en 2022. Ce type de vente a permis notamment d’injecter du sang neuf avec de nouveaux acheteurs, « dont plus d’un tiers ont moins de 40 ans », chez Christie’s Paris. De surcroît, elles ont donné un coup d’accélérateur à la globalisation du marché, déjà en marche avant la crise sanitaire. Pour preuve, Sotheby’s a recensé 97 pays différents qui ont participé à ses vacations. Mais ce canal de vente va-t-il prendre le pas sur les ventes « physiques » ? Rien n’est moins sûr et les différents observateurs misent plutôt sur la mise en place d’un système hybride en 2023, entre ventes physiques et ventes dématérialisées.
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2022 un millésime d’exception pour les enchères
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : 2022 un millésime d’exception pour les enchères