Voilà un an que la maison de ventes française est passée sous pavillon britannique à la suite de son rachat par Bonhams. Hissé de fait à la 4e place en France, son président, rompu aux affaires, entend bien continuer à se développer.
Paris. Cela fait près d’un an que la maison britannique Bonhams, animée par le désir de s’ancrer davantage à Paris tout en profitant de la renommée de l’enseigne française, a racheté la maison de ventes Cornette de Saint-Cyr, après avoir acquis Bukowskis (Suède) et Bruun Rasmussen (Danemark). « Arnaud [Cornette de Saint Cyr] est proche des collectionneurs qu’il écoute et conseille dans l’achat ou la vente d’œuvres d’art », apprécie Bruno Vinciguerra, P.-D.G. de Bonhams. De son côté, Arnaud Cornette de Saint Cyr (ACSC) n’a jamais caché son désir de changer d’échelle. « Je voulais briser le plafond de verre pour que les œuvres de nos clients soient vues dans le monde entier. » L’homme qui aime à parler de Proust et ne peut vivre sans Bach revient tout juste d’une tournée mondiale qui l’a conduit de Bruxelles à New York en passant par Hongkong et Genève, où il a présenté la collection Alain Delon – la 5e vente estampillée de l’acteur à passer sous son marteau –, qui sera dispersée le 22 juin prochain. Cette fois-ci, les 84 lots concernent des dessins de la Renaissance et des tableaux, sculptures et dessins français des XIXe et XXe siècles (estimation 4 à 5 M€). « Cette vente illustre bien le fait que désormais, nous pouvons nous appuyer sur le réseau Bonhams. Implantés sur place, nous avons pu rencontrer les grands collectionneurs. Ce n’est en rien comparable à l’envoi d’un mailing depuis Paris. »
Aujourd’hui, le président se frotte les mains. En six mois, sous la bannière « Bonhams Cornette de Saint Cyr », la maison s’est hissée à la 4e place du classement – elle qui était souvent abonnée à la 8e –, damant le pion à Aguttes comme à Millon, avec un chiffre d’affaires de 76 millions d’euros en 2022 (hors frais). Et, près d’un an après le rachat, dont les accords financiers n’ont jamais été divulgués (« ils ont dû bien vendre car l’équipe a longtemps fait la fête », rapporte un observateur du marché), la structure est passée de 15 à 70 employés, avec 90 ventes par an à Paris contre une quarantaine auparavant.
Que de chemin parcouru depuis que le père d’Arnaud, Pierre Cornette de Saint Cyr, la « star des commissaires-priseurs », a fondé la maison en 1973. Se montrant visionnaire, c’est lui qui lança le marché de la photographie, après s’être intéressé aux dessins anciens et avant de soutenir l’art contemporain – en 1983-1984, il achetait son premier dessin de Jean-Michel Basquiat – ou d’organiser la première vente de bande dessinée. Plus discret, moins « show-biz » que son père, ACSC a su relancer l’entreprise familiale à son arrivée au début des années 1990, alors que la maison était un peu à la dérive. Il avait pourtant tenté de ne pas reproduire le schéma : diplôme de l’ESCP [grande école de commerce] en poche, après un début de carrière à Hongkong dans la finance et la banque, il finit par se rendre à l’évidence : seul l’art l’intéresse. Il passe alors le concours de commissaire-priseur et intègre l’étude paternelle en 1993, aux côtés de son frère Bertrand (aujourd’hui directeur des inventaires et des collections), arrivé lui en 1989. En véritable homme d’affaires, ce féru de livres et d’objets improbables qui pourraient tout à fait prendre place dans un cabinet de curiosités, donne une nouvelle impulsion à la société, en se recentrant sur l’art du XXe siècle, quelque peu délaissé par l’équipe précédente. « Si mon frère est plus proche des objets, mon père, de la communication, les décisions stratégiques et la gestion financière, c’est moi ! » C’est Arnaud Cornette de Saint Cyr qui, à la suite de la fermeture de Drouot-Montaigne en 2012, a l’idée des ventes « Florilèges » à l’hôtel Salomon de Rothschild, une session bisannuelle de prestige. La même année il ouvre une salle des ventes à Bruxelles puis en 2014 signe le départ de Drouot (6e maison à quitter la vénérable institution) pour rejoindre un hôtel particulier de 1 600 m2 situé avenue Hoche. « Nous avions envie d’un endroit à nous. » Entre-temps, en 2009, une brève alliance s’est nouée avec le commissaire-priseur Alexandre Millon, les deux hommes devenant coprésidents de Millon & Cornette de Saint Cyr. « Notre projet avait du sens, nos forces et nos faiblesses s’épousaient parfaitement », se souvient Me Millon. Mais ce mariage ne durera qu’un an. « Tout se passait bien entre eux deux mais moins bien dans l’environnement proche », glisse un ex-employé. « Notre séparation s’est faite très élégamment, tout comme l’est Arnaud. Pour moi, en dehors de son revers au tennis qui ne me paraissait pas très bon, il est l’un des commissaires-priseurs les plus doués de sa génération, ayant parfaitement su manœuvrer pour sentir les tendances. »
La stratégie d’adossement à une autre structure pour un changement d’échelle ne date donc pas d’hier. Mais en vendant à une société étrangère, ACSC a vu encore plus grand. La transaction a fait grincer des dents, surtout à Drouot. Ses ennemis lui reprochent d’avoir ouvert encore un peu plus la porte aux Anglo-Saxons, de pactiser avec eux. « On vit ça comme une trahison, encore un coup porté au marché français. Et en plus, la maison de son père ! », se désole un commissaire-priseur parisien, quand un autre affirme préférer garder son indépendance « et ne pas imposer une mécanique trop lourde » à ses clients. « Arnaud est malin. J’aurais dû avoir l’idée avant ! Il gagne des parts de marché et s’adjoint de nouvelles spécialités comme les voitures de collection, qui pèsent lourd chez Bonhams », rapporte un concurrent.
En interne, ACSC est apprécié. « Il aime transmettre et partager son savoir. Il est très respectueux des personnes qui travaillent pour lui », rapporte sa belle-sœur, Sabine Cornette de Saint-Cyr, mais ce n’est pas toujours aisé de trouver sa place dans cette aventure familiale – outre le père et le frère, il y a l’épouse, Dorothée (directrice du département des estampes et multiples). « Même si l’ambiance est bonne, cet aspect clanique peut écraser un peu », relève une ancienne employée.
Cet « impatient », mais « qui aime sincèrement les gens », se défend d’avoir la culture et l’obsession du podium. Pour lui, seul importe de « se développer et d’obtenir les plus belles collections ». Pour arriver à ses fins, le commissaire-priseur entend mettre un coup d’accélérateur dans toutes les spécialités, car « c’est une maison qui a vocation à être globale ». Grâce à Bonhams, le département arts d’Asie devient extrêmement important, avec pas moins de six vacations en juin à Paris. Le pôle art du XXe va aussi monter en puissance : « En art contemporain, qui a toujours été notre porte-étendard, il y a encore beaucoup de parts de marché à reconquérir. » Arnaud Cornette de Saint Cyr a de l’ambition. « C’est un homme charmant, très à l’écoute, mais il a les dents longues », rapporte un confrère. Et cette remontée fracassante dans le top 10 a de quoi inquiéter ses concurrents, même s’ils s’en récrient, à l’exemple d’Alexandre Millon : « De toute façon, maintenant, nous ne boxons plus dans la même catégorie. »
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Arnaud bouscule Cornette de Saint Cyr
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : Arnaud bouscule Cornette de Saint Cyr