PARIS & LENS
Une exposition à Paris et la présentation du panoramique photographique de Pascal Convert au Louvre-Lens commémorent la destruction des statues, qui eut lieu le 11 mars 2001, et mettent en lumière les enjeux de la future restauration du site.
Paris, Lens (Pas-de-Calais). Le 11 mars 2001, un groupe de talibans faisait exploser les deux Bouddhas géants de Bâmiyân, un événement à dimension planétaire. Cette « furie iconoclaste » , comme la qualifiait en mars dernier Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, s’attaquait à un site exceptionnel d’Afghanistan, une falaise creusée de centaines de sculptures et de grottes datant du Ier au VIIe siècle après J.-C.
Le Musée Guimet, à Paris, présente une exposition compacte qui commémore la destruction et replace le site dans le contexte de l’extension du bouddhisme en Asie centrale à partir du Ier siècle de notre ère. Sophie Makariou, directrice du Musée Guimet, explique ainsi que « la falaise constitue un continuum géologique et culturel depuis la Chine », continuum qui s’étend sur près de 5 000 ans si l’on en croit les premières traces de présence humaine dans la vallée. Si le sujet des Bouddhas de Bâmiyân revêt une telle importance en France, c’est que les premiers archéologues à entreprendre des fouilles d’envergure sur le site furent français. En effet, la Dafa (Délégation archéologique française en Afghanistan), créée en 1922, entama dès 1923 l’étude de la falaise, comme le montrent des documents d’archives. Relevés des fresques polychromes dans les grottes, documents de fouilles de ces grottes devenues lieux de pèlerinage, photographies en noir et blanc : les archives conservées au Musée Guimet témoignent du travail accompli par la Dafa dans les années 1920 et 1930, sous la houlette du couple Hackin. Joseph et Ria Hackin ont en effet fouillé le site jusqu’à leur décès accidentel en 1941, lors d’une mission pour la Résistance française…
Au-delà de l’engagement de la France à Bâmiyân, l’exposition permet de comprendre l’immense richesse culturelle du site, exemple du syncrétisme religieux entre culture hellénistique et bouddhisme jusqu’à l’arrivée de l’islam au début du VIIIe siècle. Bâmiyân se situait en effet sur la route de la Soie, et attirait autant les pèlerins que les commerçants. Les décors sculptés des grottes autour des deux Bouddhas géants se paraient à l’origine de couleurs chatoyantes que révèlent les documents d’archives de la Dafa, dans un fourmillement d’éléments végétaux et animaux typiques des cultures hellénistiques d’Asie. Érigés entre 544 et 644, les deux Bouddhas (respectivement 38 et 55 mètres de haut) constituaient l’attraction principale du site pour les pèlerins bouddhistes, mais ils avaient subi des dégradations bien avant mars 2001 : Sophie Makariou rappelle que « dès le XIX e siècle une partie des visages avait été détruite », sans doute sous l’influence d’un islam rigoriste. Il est probable que le site ait été pillé bien plus tôt, en 1221 lorsque les Mongols ravagèrent l’Asie centrale puis le Moyen-Orient, entraînant la chute des grands empires médiévaux dont le califat de Bagdad.
La question qui se pose désormais est celle de la conservation de Bâmiyân et de la restauration d’une partie des sculptures et grottes. Classé au patrimoine mondial de l’humanité en 2003, le site reste un cas d’école pour la communauté scientifique internationale : en effet, comme le rappelle Sophie Makariou, c’est à partir de cette destruction par un groupe extrémiste que « la notion de “crime contre l’humanité” a commencé à émerger pour le patrimoine ». La caractérisation juridique du crime sera effective une dizaine d’années plus tard pour les mausolées de Tombouctou, au Mali (détruits en 2012), comme le signalait Audrey Azoulay au Louvre-Lens le 11 mars dernier. La directrice générale de l’Unesco ajoute que cette destruction de 2001 « trouve un écho dans les destructions à Mossoul [en Irak] entre 2014 et 2017 […] et toutes les tentatives d’écrire une histoire monocorde ». Des initiatives variées ont vu le jour ces dernières années dans le but de favoriser une restauration, dont celle de Pascal Convert en 2016. Outre un documentaire, le plasticien a réalisé un panoramique photographique de 16 mètres de long en noir et blanc qui restitue en finesse les détails de la falaise grâce à des prises de vue effectuées par drone. Cette œuvre est exposée à la fois au Musée Guimet et au Louvre-Lens, grâce à un prêt du Cnap. L’artiste précise que « la falaise est attaquée par le changement climatique », une raison supplémentaire pour restaurer le site. L’ambassadeur d’Afghanistan en France, présent à Lens le 11 mars, notait que « la restauration des Bouddhas fait l’objet de discussions depuis 2003 » mais qu’il subsiste des obstacles politiques. Audrey Azoulay a annoncé le même jour l’ouverture début 2022 d’un centre culturel au pied de la falaise de Bâmiyân, sous tutelle de l’Unesco. L’appui d’organisations internationales et d’institutions telles que le Louvre et l’Aliph (Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit) laisse espérer que le site retrouve prochainement une partie de sa beauté perdue.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°569 du 11 juin 2021, avec le titre suivant : Vingt ans après, se souvenir des Bouddhas de Bâmiyân