NEW YORK / ÉTATS-UNIS
Le Metropolitan Museum of Art ambitionne, en vain, de tisser un lien entre les arts décoratifs français du XVIIIe siècle et les films d’animation des studios Walt Disney. Les rapprochements proposés sont hasardeux.
New York. « Des châteaux rose bonbon, des sofas qui parlent, des objets qui prennent vie : ce qu’on attribue à la fantaisie des avant-gardistes studios d’animation Walt Disney est en fait tout droit sorti des salons hauts en couleur du rococo parisien » : l’exposition que le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York consacre cet hiver à Walt Disney propose de mettre en lumière l’influence, apparemment majeure si l’on en croit le texte d’introduction, des arts décoratifs français du XVIIIe siècle sur quelques-uns des films d’animation américains les plus populaires du XXe siècle. Pour alléchante qu’elle soit, la promesse n’est pourtant pas tenue et l’exposition parvient à démontrer à peu près tout sauf l’évidence d’une pareille généalogie.
Quatre films articulent le propos de « Inspiring Walt Disney : The Animation of French Decorative Arts » : Blanche-Neige (1937), Cendrillon (1950), La Belle au bois dormant (1959) et La Belle et la Bête (1991). Quatre, cela peut paraître peu au regard de la longue filmographie desdits studios, qui recense à ce jour près de 60 « classiques d’animation ». D’autant que proclamer l’affinité naturelle que ces quatre adaptations de contes recueillis par Charles Perrault, Gabrielle-Suzanne de Villeneuve et les frères Grimm entretiennent avec la littérature, l’histoire et la géographie européennes n’est pas loin de relever de la lapalissade. Qu’importe après tout, on voudrait pouvoir se prendre au jeu des rapprochements que propose l’exposition entre, d’un côté, dessins et gouaches ayant servi à la réalisation des films, et, de l’autre, meubles et porcelaines rococo issus des collections du Met.
Rapidement cependant, le visiteur s’aperçoit que les premiers ne dialoguent que peu avec les seconds, comme si le propos historique et artistique était interrompu par de régulières pages de publicité vantant les mérites du géant hollywoodien. Le Met se défend d’avoir fait relire sa copie par Disney. Reste qu’au milieu des 150 documents prêtés par la Walt Disney Animation Research Library, les Walt Disney Archives, la Walt Disney Imagineering Collection et le Walt Disney Family Museum, les quelque 60 objets du Met qui peuplent l’exposition paraissent relégués au rôle de figurants. On aurait sans doute pu s’en satisfaire si le propos lui-même n’était pas si décousu et si le lien qu’il tente d’établir entre films d’animation hollywoodiens et arts décoratifs rococo ne semblait pas si mince.
Comme dans un conte de fées, tout commence bien : la première salle laisse apprécier au visiteur la passion forte que Walt Disney a conçue pour la France, un pays qu’il a découvert pour la première fois en 1918 comme ambulancier dans les Vosges. Un film le montre avec sa famille en visite à Versailles et à Trianon en 1938, une vitrine présente quelques-uns des 300 exemplaires de recueils de contes illustrés de Perrault qu’il a acquis à l’occasion de ses voyages, et l’on se dit qu’il y a matière à explorer le regard que le producteur américain portait sur la France du Grand Siècle et des Lumières. La salle suivante met fin au rêve bleu : deux danseurs en porcelaine provenant de la manufacture de Höchst (en Allemagne, donc !), datés de 1758, sont montés sur des supports rotatifs censés les « animer ». L’artifice veut souligner l’« élégance exagérée » (selon les termes du cartel) que ceux-ci partagent avec les protagonistes de deux courts-métrages produits par Disney dans les années 1930, des objets prenant vie dans leur échoppe à la tombée de la nuit. On comprend que d’influence ou d’emprunt direct il n’y a point : le parallèle que propose l’accrochage est plutôt bancal. Le reste est à l’avenant.
Les emprunts directs aux arts européens du Moyen Âge au XIXe siècle sont pourtant légion dans les films d’animation des studios Disney et, si l’exposition parvient à démontrer quelque chose, certes à son corps défendant, c’est bien que tout ou presque a inspiré les dessinateurs et réalisateurs sauf, précisément, le rococo français. La matière de Bretagne, les Très Riches Heures du duc de Berry, les tableaux de Jan Van Eyck, la tenture de La Dame à la licorne, les sculptures de Michel-Ange, les Bourgeois de Calais par Rodin : quand bien même hors sujet, tous ces rapprochements avec les esquisses préparatoires des films sont convaincants. On apprend en revanche que Walt Disney a préféré donner pour cadre à Cendrillon l’éclectisme stylistique du Second Empire plutôt que celui des hôtels parisiens du XVIIIe siècle ; et qu’une scène s’inspirant de « L’escarpolette » de Fragonard (1767-1769) a été retirée du montage final de La Belle et la Bête pour avoir été jugée insuffisamment « divertissante ».
Pourquoi alors mettre en avant cette filiation presque inexistante avec le XVIIIe siècle français ? Sans doute parce que cette époque jouit aux yeux du public américain d’une aura et d’un attrait qui semblaient les plus aptes à faire entrer ce monstre de l’industrie cinématographique contemporaine au musée. Pour Wolf Burchard, conservateur associé au Met et commissaire de l’exposition, « l’élément à retenir, c’est que les artistes du rococo ont eu recours à la même rhétorique que Disney : laisser libre cours à leur imagination ». Jusqu’au point, sans doute, de considérer l’existence même d’un lien entre les deux.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : Le rococo inspirateur de Disney ? Le Met de New York se fourvoie