Si la peinture rococo a de plus en plus de mal à séduire, une nouvelle clientèle, notamment russe, fait monter la cote des paysages français du XVIIIe.
Poudrée, mièvre, la peinture XVIIIe semble vouée aux gémonies. « On sent une désaffection depuis dix à quinze ans sur une peinture rococo. Les gens se sont lassés du côté “boîte de chocolat”, admet l’expert Chantal Mauduit. Sur certains artistes comme Louis Léopold Boilly, cela s’est ressenti violemment. Voilà vingt ans, ses scènes de genre se vendaient autour de 300 000-400 000 euros, car il y avait une forte demande des Américains. Maintenant, on tourne plutôt autour de 100 000 euros. » Outre les pastorales et les scènes mythologiques indéchiffrables, les portraits emperruqués font les frais des changements de goût. « Aujourd’hui, ceux qui font monter les prix sont les acheteurs russes et ceux du Moyen-Orient, et le portrait de famille traditionnel n’attire pas cette clientèle qui recherche des choses décoratives de maîtres connus pour des appartements d’apparat », souligne Aurélie Vandevoorde, spécialiste de Christie’s à Paris. Ainsi, un portrait de George William Coventry par Jean-Baptiste Perronneau, portraitiste aussi reconnu que Maurice Quentin de La Tour au Siècle des Lumières, s’est contenté de 54 750 euros en juin chez Sotheby’s à Paris. De même, les portraits minaudant par Jean-Baptiste Greuze ne font pas toujours saliver. « Greuze a beaucoup produit, c’est parfois ennuyeux, en convient Nicolas Joly, spécialiste de Sotheby’s à Paris. Mais quand il fait preuve d’une patte rapide et sensuelle, ça se vend bien, entre 100 000 et 500 000 euros. » Même si les mignardises sont écartées, François Boucher et Jean-Honoré Fragonard ne voient pas leur intérêt pâlir. « Ces deux artistes ont vraiment innové à leur époque, ils se sont libérés du carcan académique de Le Brun et ont apporté une touche libre et des accords de couleur étonnants », explique Chantal Mauduit. En avril, à New York, Christie’s a adjugé pour 1,38 million de dollars (876 850 euros) une Jeune fille jouant avec deux chiens de Fragonard, accrochée en 2007 dans l’exposition consacrée à l’artiste par le Musée Jacquemart-André, à Paris.
De tous les genres, le paysage tire le mieux son épingle du jeu. Hubert Robert reste un insubmersible des ventes publiques avec des prix allant de 40 000 à 400 000 euros. « Ses paysages italiens avec des ruines, ses cascades de Tivoli ou ses jardins de demeures aristocratiques animés de folies plaisent toujours, indique Chantal Mauduit. En revanche, il a aussi fait des toiles décoratives insérées dans des boiseries, qui n’ont pas la qualité des tableaux de chevalet. » Les nouveaux acheteurs apprécient les Hubert Robert monumentaux, délaissés par les acheteurs traditionnels. En octobre 2007, deux Caprices ont atteint 205 000 et 181 000 dollars chez Christie’s à New York, sur des estimations raisonnables de 40 000-60 000 dollars. La fougue des sous-enchérisseurs russes et moyen-orientaux n’est pas étrangère à cette poussée. De même, les prix de Joseph Vernet poursuivent leur envolée. « Les Russes sont habitués à Vernet et à Hubert Robert, qui ont eu beaucoup de commandes de Catherine II. L’Ermitage [à Saint-Pétersbourg] possède les tableaux les plus importants de ces artistes, du coup c’est une clientèle qu’on touche facilement sur cette peinture », précise Aurélie Vandevoorde. Voulant flatter l’aura de la marine française, le roi Louis XV lui commanda en 1753 des vues de ports français. Si l’essentiel de cette série est conservé au Musée de la Marine, à Paris, Vernet a produit des vues plus fantaisistes en captant la lumière à différents moments de la journée. Un Retour des pêcheurs dans un port méditerranéen, adjugé pour 3,6 millions de francs en décembre 1997 chez Piasa à Paris, s’est propulsé à 2 millions de dollars, en 2007, chez Sotheby’s à New York. L’enthousiasme pour Vernet a tiré vers le haut une myriade de suiveurs comme Charles La Croix de Marseille ou Jean-Baptiste Lallemand, dont les tableaux taquinent parfois les 40 000 euros, contre 5 000 euros il y a vingt ans. Encourageant...
Bruno Desmarest, galerie Didier Aaron %26 Cie (Paris)
Y a-t-il une désaffection pour la peinture française du XVIIIe ?
Il est certain qu’il y a un déclin relatif par rapport à un conformisme social qui voulait qu’on soit décoré en XVIIIe. Mais s’il y avait des œuvres significatives de Boucher ou Fragonard sur le marché, elles feraient plusieurs dizaines de millions d’euros, des prix similaires à ceux des tableaux impressionnistes. Même pour des pièces moyennes, on constate [l’existence d’]un public, qui n’est certes plus le médecin ou le notaire qui faisait un achat par an. Il y a soit la clientèle d’esthètes cultivés capables de mettre plusieurs centaines de milliers d’euros dans une œuvre, soit une clientèle plus « déco », étrangère, qui souhaite un XVIIIe classique, et enfin aussi de nouveaux acheteurs russes.
Que cherchent les collectionneurs aujourd’hui ?
Ils cherchent un XVIIIe plus muséal, des sujets raffinés, de la peinture d’Histoire. De telles œuvres ont souvent échappé au marché pour finir dans les musées. On constate des réévaluations pour certains peintres, comme Louis Joseph Le Lorrain, qui sont à redécouvrir. Un tableau d’un petit artiste peut faire un très beau prix. En janvier chez Sotheby’s à New York, Jean-Jacques Lagrenée a obtenu 1,2 million de dollars, alors que c’est un peintre peu considéré. Mais il y avait dans cette toile tout ce que recherche le marché : une image forte, un état de conservation parfait, une dimension grande sans l’être trop.
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A la recherche d’un XVIIIe plus muséal
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : A la recherche d’un XVIIIe plus muséal