Art contemporain

Kader Attia, un Dante moderne à Montpellier

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 16 juillet 2024 - 548 mots

L’artiste livre au Mo.Cosa vision de la réparation et de la transcendance, du purgatoire au paradis en passant par l’enfer.

Montpellier. Installé à Berlin, le lauréat 2016 du prix Marcel Duchamp n’avait pas eu d’exposition personnelle en France depuis celle que lui a consacrée le MacVal à Vitry-sur-Seine en 2018. Après une Biennale de Berlin, en 2022, dont il a assuré un commissariat pour le moins compliqué, voici donc Kader Attia au Mo.Co Panacée pour sa première exposition d’envergure dans le sud de la France et un nouveau regard posé sur son travail. Selon Numa Hambursin, directeur du centre d’art montpelliérain, la lecture politique a occulté la notion de beauté dans l’œuvre du plasticien. La scénographie de l’exposition met donc cette dimension esthétique en exergue. Une cinquantaine de pièces sont réunies, certaines anciennes (comme la vidéo Oil and Sugar, qui date de 2007), d’autres plus récentes, auxquelles s’ajoutent quelques productions spécifiques.

Résonance avec l’actualité

Kader Attia a conçu l’accrochage comme une traversée du temps et de l’espace. Depuis les Rocherscarrés (2008) du port d’Alger, série photographique qui ancre d’entrée ce solo méridional dans la biographie de l’artiste, jusqu’à son dernier film Pluvialité #1 (2023), tourné en Thaïlande, en fin de parcours. Entre les deux, il faudra traverser l’enfer et le purgatoire, le voyage dantesque de cette « Descente au Paradis » devant en passer par là. Si l’ailleurs fantasmé depuis les côtes algériennes en fixant l’horizon ressemble au travelling ascensionnel sur la façade en béton sale de La Tour Robespierre (2018), dont la haute silhouette domine le paysage de Vitry-sur-Seine, le ciel peut en effet attendre. Il est d’ailleurs beaucoup question de religion et de spiritualité dans cette exposition. La foule des pèlerins autour de La Mecque qu’évoque Halam Tawaaf (2008), cercle parfait de canettes de bière froissées autour d’un rectangle vide, ouvre à plusieurs lectures. On peut y voir l’enfer des addictions, l’aliénation du culte ou sa dissolution dans la société moderne. Il est frappant de constater que les œuvres d’Attia résonnent toujours aussi fort avec l’actualité, à l’image du néon Demo(n)cracy (2010) parasité par un « n » qui le transforme en royaume des démons, ou cette Mer Morte (2015) de vêtements épars. On retrouve ainsi les thèmes et les motifs récurrents dans son travail : les installations à partir d’objets triviaux, comme ces prothèses vintage suspendues en une nuée de bras et jambes artificiels (On Silence, 2021), les collages de la série « Modern Genealogy », les copies de masques issus de cultures africaines prémodernes, associés à des éclats de miroir, les sculptures, en inox poli, ou en bois, ainsi ce nouvel ensemble de gueules cassées qui surplombe de façon théâtrale le visiteur (Culture, Another Nature Repaired, 2024).

Le ton oscille en permanence entre la violence sourde de la révolte (On n’emprisonne pas les idées, 2018) et la sérénité contemplative : celle à laquelle invite l’installation inédite du lent ballet de bâtons de pluie bruissant dans le désert. De la méditation à une spiritualité apaisée, le film en diptyque Pluvialité #1 déroule le témoignage d’un médium en prise avec les fantômes du passé, sur fond d’images de jungle tropicale lavée par l’écoulement d’une pluie aussi implacablement dure et douce que le passage du temps. Car ce qui reste à la fin, c’est bien la nostalgie d’un Éden à jamais perdu.

Kader Attia. Descente au Paradis,
jusqu’au 22 septembre, Mo.Co Panacée, 14, rue de l’École- de-Pharmacie, 34000 Montpellier.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Kader Attia, un Dante moderne à Montpellier

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