CHANTILLY
Le fils aîné de Louis-Philippe était un ami de l’artiste. À sa mort, le roi et un autre de ses fils, le duc d’Aumale, se sont attachés à Ingres.
Chantilly (Oise). Louis-Philippe, qui a régné sur les Français de 1830 à 1848, était un amateur d’art et son cinquième fils, Henri d’Orléans, duc d’Aumale, a réuni une immense collection qu’il a léguée à l’Institut de France avec le domaine de Chantilly, sous réserve que le Musée Condé ainsi créé soit ouvert au public. Cinq tableaux et un dessin de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) faisant partie de cet ensemble sont au cœur de l’exposition ici organisée par le directeur de l’institution, Mathieu Deldicque, et Nicole Garnier, l’ancienne responsable des collections qui caressait ce projet depuis 2014. Un excellent catalogue l’accompagne.
En presque 110 œuvres, le visiteur traverse la carrière de l’artiste et en découvre un aspect moins connu : le lien profond qu’il a construit avec la famille d’Orléans et les orléanistes. C’est le prince royal, Ferdinand Philippe d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe et héritier du trône, qui le premier s’attache à Ingres. Il devient son ami et lui commande en 1833 Antiochus et Stratonice. Le tableau ne sera livré qu’en 1840 et, entre-temps, le prince acquiert Œdipe explique l’énigme du Sphinx (1808-1827, Louvre). Exécuté en 1842, le Portrait de Ferdinand Philippe d’Orléans, prince royal (1842, Louvre) révèle toute l’élégance physique et morale de ce prince libéral dans lequel nombre de Français placent leurs espoirs. Mais l’héritier du trône meurt dans un accident de voiture à cheval en juillet 1842. Le portrait devient son image officielle, plusieurs fois reproduite par Ingres et son atelier.
Puisqu’il était l’ami de leur enfant décédé, Louis-Philippe et la reine Marie-Amélie lui commandent les cartons de vitraux pour la chapelle Saint-Ferdinand (1842-1843), construite à l’entrée de Neuilly sur le lieu de l’accident – aujourd’hui Notre-Dame de Compassion. Le roi demande en 1843 des cartons de vitraux pour la chapelle royale de Dreux, où se trouve le tombeau du prince. Ils seront réutilisés pour la chapelle du château de Carheil (1847, Loire-Atlantique) qu’il a acheté pour le prince de Joinville, son troisième fils. Enfin, en 1847 également, le duc d’Aumale passe à son tour commande de cartons de vitraux pour la chapelle de Chantilly – cartons jamais exécutés en raison de son exil après la chute de Louis-Philippe. En souvenir, le duc achètera en 1882 le dessin L’Archange Raphaël (1844), une esquisse pour l’un des vitraux de Saint-Ferdinand.
Pour le duc d’Aumale, le nom d’Ingres était lié à celui du duc d’Orléans (le prince royal). C’était aussi le cas pour le duc de Montpensier, dernier de la fratrie, qui, en 1847, lui a commandé une version réduite évoquant une Pietà du Virgile lisant l’Énéide devant Auguste, Octave et Livie. En 1854, Aumale entre en possession, avec la collection de tableaux de son beau-père, le prince de Salernes, d’un petit Ingres, Paolo et Francesca (1814). Mais il ne s’attache vraiment à l’artiste qu’en 1863, alors qu’il acquiert Antiochus et Stratonice qui lui tenait à cœur parce qu’il avait été peint pour le prince royal. En 1867, il est devenu un véritable amateur d’Ingres et tente d’acheter le dessin L’Apothéose d’Homère (1865). Enfin, il acquiert en 1879 la collection de 40 tableaux de Frédéric Reiset, directeur des musées nationaux. Celle-ci compte trois œuvres capitales – l’Autoportrait à l’âge de 24 ans (1804 puis 1841-1851), le Portrait de Madame Duvaucey (1807) et la Vénus anadyomène (1808 puis 1848) – qui font du Musée Condé un lieu incontournable pour la connaissance de l’artiste.
L’exposition montre tous ces jalons de la carrière d’Ingres dans une suite d’« ateliers », chacun présentant des dessins préparatoires, photographies d’époque, copies, œuvres en rapport et vidéos décrivant les études en laboratoire dont l’accumulation rend la visite ardue pour le grand public mais passionnante pour l’historien de l’art. Un chef-d’œuvre, à la fin du parcours, remporte tous les suffrages : l’iconique Portrait de Madame d’Haussonville (1845, New York, The Frick Collection), grande admiratrice du peintre et orléaniste convaincue.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Ingres, peintre des Orléans