Ingres est l’un des peintres et dessinateurs les plus connus du XIXe siècle. Paradoxalement, ses œuvres de jeunesse ont rarement été montrées et analysées. À Orléans, une exposition répare cet oubli…
Quand on imagine Jean-Auguste-Dominique Ingres, c’est presque automatiquement son autoportrait de 1858 qui vient à l’esprit. Dans ce tableau, conservé aux Offices, l’artiste au faîte de sa gloire s’est donné une stature de commandeur et toise son audience avec assurance, pour ne pas dire une certaine morgue. Personnalité artistique phare du second Empire, le dernier des néoclassiques est alors une figure absolument incontournable ; une référence qui incarne le beau et les querelles esthétiques de son temps. Pour un spectateur du XXIe siècle, cet homme d’âge mûr à la mise embourgeoisée symbolise aussi l’essence de l’académisme, incarnant une institution datée, dépassée par la modernité. Cette image erronée est passée à la postérité. Et, de la même manière que l’on n’envisage pas Ingres comme un jeune artiste, ses œuvres emblématiques sont celles d’un peintre confirmé : ses portraits inoubliables, son Odalisque, sans oublier son érotique Bain turc.
Étrangement, ses œuvres de jeunesse ne sont pas connues et la production antérieure à son départ pour Rome est même rarement exposée et analysée, comme si cela n’était in fine qu’un prologue à une carrière phénoménale. Or, cette période de formation d’une richesse inattendue permet de comprendre l’éclosion du génie. Ses débuts dénotent surtout une attitude originale et audacieuse. Loin d’être confit dans l’académisme, c’est un artiste qui expérimente constamment et qui entend renverser la table à la pointe de ses crayons. Les premières années de sa prolifique carrière constituent en effet un stupéfiant laboratoire de papier. Fils du sculpteur Jean-Marie-Joseph Ingres, il fait logiquement ses premières armes dans le dessin. Virtuose, il pratique avec talent tous les genres : le portrait, la réinterprétation des maîtres, le modèle vivant, la gravure et même des croquis sur le vif de contemporains qu’il saisit dans des attitudes drolatiques. Ce travail acharné est une façon de forger son regard et sa main. Mais loin de se cantonner à un rôle d’apprentissage, il hisse le dessin au rang d’art autonome. Il multiplie d’ailleurs les effets, par exemple en exploitant le potentiel de la pierre noire et de l’estompe. Ses feuilles se distinguent ainsi par leur forte présence plastique. Elles montrent aussi la volonté d’inventer un langage teinté d’archaïsme qui déstabilise ses contemporains.
Car l’artiste recombine constamment ses sources d’inspiration pour redéfinir le canon de l’époque. En lieu et place du beau idéal, il élabore le concept du beau subjectif, une rhétorique qui constitue la clé pour comprendre ses fameuses anatomies fantasmées. Chantre de la ligne pure, il pose les jalons d’une manière de dessiner d’une sidérante modernité. La preuve, plusieurs figures de proue de l’avant-garde, Matisse ou Picasso pour ne citer que les plus connus, se revendiqueront comme les héritiers de ce maître qui professa que le « dessin est la probité de l’art ». Une sacrée revanche pour cet original incompris, rangé bien malgré lui dans la catégorie des classiques.
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Le jeune Ingres se dévoile
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Le jeune Ingres se dévoile