Art ancien

XIXE SIÈCLE

Les débuts d’Ingres dessinateur

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2021 - 835 mots

ORLEANS

Autour de deux dessins du maître appartenant à ses collections, le Musée des beaux-arts d’Orléans mène l’enquête sur la formation de son génie.

Orléans. C’est la première fois qu’une exposition est organisée à partir d’un corpus de dessins de jeunesse de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867). « Même si cette période est toujours présentée dans les expositions monographiques ou dans les livres sur l’artiste, explique le commissaire, Mehdi Korchane, sa production est telle qu’on s’attarde rarement sur ses premières années. On les comprend difficilement parce qu’on laisse perdurer des problèmes d’attribution ou de datation. »

Au cœur de la démonstration, les portraits de Jean Charles Auguste Simon dit « Simon fils », appartenant au Musée des beaux-arts d’Orléans, ont vu leur datation affinée par les recherches stylistiques menées par le commissaire et présentées dans le catalogue. Le musée a également demandé une analyse des techniques de l’un de ces portraits au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), dont les conclusions sont aussi publiées dans le catalogue.

Dans l’atelier de David

Le parcours suit le peintre depuis sa formation à Montauban, sa ville natale, et à Toulouse jusqu’aux années parisiennes avant le départ pour Rome, soit de 1791 à 1806. Ingres a toujours témoigné de la gratitude à son père pour lui avoir donné ses premières leçons. Pourtant, il a été de bon ton de le dénigrer : « Les œuvres de Jean-Marie-Joseph Ingres sont d’une infériorité flagrante […], son éducation fut celle d’un ouvrier d’art », écrivait en 1904 l’un des biographes du peintre, Jules Momméja. En réalité, cet artiste polyvalent qui était aussi musicien a su initier son fils au dessin en lui donnant des gravures à copier et en l’engageant vers un genre apportant un revenu régulier, le portrait dessiné. C’est son père également qui, en 1791, inscrit le jeune garçon à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Toulouse dans l’atelier de Joseph Roques (1757-1847), peintre d’histoire. Ingres en suit le cursus complet jusqu’en 1797, année où il remporte le prix de dessin d’après modèle vivant. Un portrait d’homme en médaillon témoigne de la maturité de son talent. Le jeune homme est désormais apte à suivre les leçons du plus grand peintre d’histoire vivant et à subsister pendant ce temps en réalisant des portraits au crayon. Grâce à ses relations et à celles de Roques, Joseph Ingres peut envoyer son fils à Paris, dans l’atelier de Jacques-Louis David (1748-1825).

À l’époque, Jean-Baptiste Isabey (1767-1855), un proche de David, fait fureur avec ses portraits dessinés à la pierre noire et à l’estompe, dans le goût des gravures en manière noire. Ingres découvre le procédé et s’y consacre, comme en témoigne la juxtaposition du Simon Chenard (1796) par Isabey et du Portrait d’homme (vers 1797-1798) d’Ingres, correspondant à la vogue anglaise du portrait dans un paysage. Le buste tout en courbes sensuelles d’Aglaé Adanson (vers 1802-1803), une jeune femme rencontrée dans l’atelier de David, constitue un aboutissement de cette technique. En 1801 ou 1802, Ingres produit pour la gravure un dessin d’après La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci où il peut travailler la ligne sinueuse de nuque et d’épaules qu’il utilisera souvent dans ses portraits féminins. C’est aussi de 1802-1803 que Mehdi Korchane date Jean Charles Auguste Simon dit Simon fils dans la même technique de pierre noire et estompe avec rehauts de blanc. Le même homme est dessiné par l’artiste en 1806 au crayon de graphite-antimoine et le modelé est rendu non plus par l’estompe mais par des hachures : c’est, écrit le commissaire, « le prototype du “portrait-crayon” dont Ingres allait rapidement développer la production lors de son arrivée à Rome ».

S’il exerçait sa main en réalisant de petits portraits, qu’il pouvait vendre pour trouver quelques subsides, Ingres pratiquait aussi, et dans le même but, le dessin pour la gravure. Il n’oubliait pas son ambition : devenir peintre d’histoire. Il a donc pu bénéficier du travail fourni pour dessiner les sculptures antiques de la galerie du Louvre qui devaient être publiées dans Le Musée français, recueil complet des tableaux, statues et bas-reliefs, qui composent la collection nationale. Dans ses dessins d’après les maîtres, un exercice pratiqué tout au long de sa vie, il copiait Albrecht Dürer, Raphaël et les maniéristes, mais aussi les gravures érotiques des Amorosi diletti degli dei de Giulio Bonasone. Il se constituait ainsi un répertoire de formes dans lequel il pourrait puiser pour ses compositions. Il exerçait aussi son œil en croquant rapidement ses camarades d’atelier et des scènes de rue dans lesquelles il n’est pas possible de déceler les courbes accentuées et déformations qui feront sa célébrité. Elles apparaissent en revanche dans les nus dès le Torse d’homme (1800) pour lequel il reçoit le prix du concours de la demi-figure. Dans Achille recevant les ambassadeurs d’Agamemnon (1801) qui lui vaut le Prix de Rome, déjà, les corps s’allongent et leurs lignes se courbent. S’éloignant définitivement de David, Ingres prend le virage d’une déréalisation dont témoignent Vénus blessée par Diomède (vers 1805) et Napoléon Ier sur le trône impérial (1806).

Ingres avant Ingres. Dessiner pour peindre,
jusqu’au 9 janvier 2022, Musée des beaux-arts, place Sainte-Croix, 45000 Orléans.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°575 du 15 octobre 2021, avec le titre suivant : Les débuts d’Ingres dessinateur

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