Ingres : des honneurs princiers

C’est enfin le cas avec ce beau projet qui réunit 110 peintures et dessins. L’exposition emprunte un biais original puisqu’elle tisse, à partir des cinq tableaux emblématiques du Musée Condé, un passionnant récit sur les relations entre l’immense artiste et ses mécènes. Cet événement est aussi l’occasion d’orchestrer une émouvante réunion de famille, en faisant revenir au bercail des toiles ayant jadis appartenu à cette dynastie aux goûts éclairés. À l’instar du célèbre portrait du prince royal et de la non moins célèbre effigie de la comtesse d’Haussonville, prêtée exceptionnellement par la Frick Collection. Les institutions ont d’ailleurs massivement joué le jeu en se départissant de certaines icônes, à l’image du Virgile lisant l’Énéide venu de Bruxelles et du mythique Œdipe du Louvre. Le sort de ce tableau permet d’aborder un aspect caractéristique de la carrière d’Ingres : son insatisfaction chronique. On le sait, le peintre remettait cent fois ses œuvres sur le métier, les retravaillant parfois des années durant ! Ainsi, l’Œdipe a été acquis presque comme un « lot de consolation ». En effet, le duc d’Orléans avait passé commande à Ingres d’un grand tableau d’histoire, payé au prix fort. L’artiste, fidèle à sa réputation de perfectionniste, reprit la composition de son Antiochus et Stratonice pendant sept ans. Son commanditaire se languissant s’offrit pour patienter une autre œuvre du maître alors sur le marché, le fameux Œdipe. L’accrochage, qui multiplie les variantes de ses œuvres majeures et de nombreux et sublimes dessins, permet de prendre la mesure de ce perfectionnisme quasi pathologique. Une formidable plongée dans les mécanismes de la création, portée par une scénographie et une médiation numérique impeccables. Bravo.