SAINT-PRIEST-EN-JAREZ / LOIRE
Au Musée de Saint-Étienne, nombre d’œuvres et d’archives disent toute la dimension performative du mouvement italien.
Le titre, « Entrer dans l’œuvre », donne le ton de la manifestation. Au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne-Métropole, les différentes sections sont baptisées « Le théâtre », « Temps et lieu » ou « Actions ». Selon son désir – ou son audace –, le visiteur peut observer un des Igloos de Mario Merz (Sans titre, 1978), admirer une splendide photo de taille monumentale montrant Giovanni Anselmo qui s’avance dans un immense champ (Entrare nell’opera, 1971), ou s’aventurer à devenir un participant de l’installation-performance de Gilberto Zorio, Microphones (1969). Il lui suffit de monter sur un bloc et de parler dans un micro. Sa voix sera enregistrée puis transformée en sonorités qui se situent plus du côté de la musique concrète que de la communication. Autres pièces historiques, des films sur l’art réalisés pour la télévision par Gerry Schum parmi lesquels Identifications (1970), réunissant des artistes de l’Arte povera.
Certes, les artistes qui font partie du groupe italien, tels Jannis Kounellis, Giuseppe Penone, Anselmo, Merz ou Michelangelo Pistoletto, ne sont pas les premiers à mettre l’accent sur l’aspect participatif du spectateur dans leur production plastique. Les installations américaines des années 1960 ou les travaux de Beuys, ce dernier faisant appel aux matériaux organiques, malléables et éphémères, ont déjà à voir avec cette conception de « l’œuvre ouverte » (U. Eco). Le critique Germano Celant, arguant un peu plus tard que la démarche américaine se situe sur le seul terrain esthétique, décrète que l’Arte povera doit porter une vision critique sur une société fondée sur le culte de la technologie et de la valeur marchande. Une démarche «en résonance avec les revendications sociales et politiques de l’époque »,écrit Alexandre Quoi, commissaire de l’exposition.« Il s’agissait pour [ces artistes] de rejeter la valeur traditionnelle de l’œuvre et une technique unique pour offrir des expériences collaboratives, des gestes et des attitudes, plutôt qu’un objet à contempler. »
Le mérite d’« Entrer dans l’œuvre », qui s’attache à la dimension performative du groupe, est de proposer aux visiteurs une vaste quantité de documents et de films, parfois les seules traces des activités d’Arte povera, mais aussi des reconstitutions d’œuvres historiques. Ici plus qu’ailleurs, la scénographie est essentielle, car l’inspiration principale de ce mouvement est le théâtre. L’appellation choisie par Celant a pour source le texte du célèbre metteur en scène polonais Jerzy Grotowski Vers un théâtre pauvre, où l’on retrouve les principes du happening. De façon significative, l’exposition initiale de ce mouvement à Gênes en 1967 se nomme « Arte Povera. Im Spazio » [Art pauvre. Dans l’espace].
Le parcours s’achève sur une confrontation d’œuvres de Supports/Surfaces et de l’Anti-Form. Ces différentes formes de post-minimalisme furent réunies en 1969 par le commissaire d’exposition Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne, sous le titre « Quand les attitudes deviennent forme ». À cette occasion, on put constater que les créateurs des deux continents partageaient une approche où le processus du travail était plus important que l’objet qui en résultait.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Entrez dans l’Arte povera