Plus de 200 œuvres des principaux artistes de ce mouvement sont déployées à la Bourse de commerce.
Paris.« François Pinault voulait depuis longtemps une grande exposition autour de l’Arte povera », assure Emma Lavigne, directrice générale de la Collection Pinault. On le découvre à l’occasion de cet accrochage – le premier de la Bourse de commerce à adopter un point de vue historique –, l’homme d’affaires a acquis plusieurs œuvres du mouvement apparu en Italie au milieu des années 1960. Leur qualité et leur nombre ont convaincu Carolyn Christov-Bagarkiev, spécialiste en la matière, d’accepter l’invitation à assurer le commissariat d’« Arte povera »(elle venait d’annoncer son départ du Castello di Rivoli). L’expertise de l’historienne de l’art, autrice d’un ouvrage de référence, était la garantie d’un projet ambitieux. Sa sélection bénéficie de nombreux prêts institutionnels, réunissant plus de deux cents œuvres des treize principaux protagonistes : Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario Merz, Marisa Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto, Emilio Prini et Gilberto Zorio.
Le parcours occupe intégralement les espaces, de la salle des machines au dôme qui la coiffe, et, procédant par cercles concentriques, tire le meilleur parti de sa configuration. Au centre, dans la rotonde, une présentation collective reprend le principe du Deposito d’Arte Presente (espace d’exposition informel ouvert à Turin en 1967) : les œuvres s’y déploient au sol, tel le Pavimento(tautologia) de Fabro, soit quelques journaux étalés à même le carrelage. On trouve ensuite, répartis dans les galeries en étage et au sous-sol, des focus consacrés à chacun des artistes.
Ces mini-monographies concentrent une densité étonnante d’œuvres emblématiques : les Igloos de Mario Merz, les « tableaux-miroirs » de Pistoletto, les « Mappa » de Boetti, la série des « Alpi Marittime » de Penone, les lettres de feu de Kounellis, etc. Mais on se laisse aussi surprendre par la délicatesse du travail de Marisa Merz, ou par l’esthétique contemporaine de celui de Pascali, tous deux absents du fonds Pinault.
La force du propos tient à cette réunion magistrale d’une famille d’artistes, tous reliés selon Carolyn Christov-Bakargiev par une conception de l’œuvre d’art en lien avec la notion d’énergie. Là est aussi la limite de l’exercice : car, normes muséales et affluence obligent, l’expérience du visiteur est en permanence entravée. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’Arte povera, dont l’essence en partie volatile se prête difficilement au concept de célébration, bien que celle-ci soit pleinement justifiée.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : Toute la richesse de l’Arte povera