Cinéma, littérature et arts plastiques, l’Italie des années 1960-1975 a connu une période de création artistique intense.
Nice. C’est une constante des études en histoire, mais aussi en histoire de l’art : chaque époque étudiée par un spécialiste se transforme en une période charnière. Valérie da Costa, commissaire d’exposition, universitaire et chercheuse reconnue dans le domaine de l’art italien, ne déroge pas à cette règle, en proposant de revisiter cet art des années 1960-1975. Certes, il n’est pas question de nier l’importance de l’Arte povera, ce mouvement d’avant-garde propulsé à l’échelle internationale par le critique Germano Celant. Toutefois, et c’est toute l’originalité de l’exposition, ces quinze années font montre d’une grande vivacité dans la création artistique (le cinéma, le théâtre, le design, la littérature, la mode) qui reste encore méconnue. Le cinéma placé en tête de liste n’a rien d’innocent, tant les films et les documentaires sont omniprésents dans l’exposition. D’ailleurs, un hommage appuyé à Pier Paolo Pasolini (1922-1975), dont on célèbre le centenaire de la naissance, clôt le parcours.
La formidable activité cinématographique mais aussi l’arrivée massive de la télévision et de la publicité – enseignes ou affiches – sont évoquées dans la première section « Une société de l’image ». Ces représentations oscillent entre une relative fascination à l’égard du « miracle économique » des années 1960 et une critique de la consommation effrénée. Sans surprise, c’est autour de la figure de la femme que cette ambiguïté se cristallise, comme dans une publicité pour Fiat détournée par Lucia Marcucci, l’une des nombreuses artistes révélées par l’exposition (Miss Viaggio, 1964, voir ill.). Puis, les réactions des artistes se radicalisent, reflétant les tensions sociales et la violence qui secouent la société. Le titre de l’œuvre de Luciano Fabro, Italia del dolore (1975), et de celle de Gianfranco Baruchello, Nello spazio della violenza (1973) résument l’atmosphère étouffante de ces « années de plomb ».
Si la première partie du parcours a tendance à accentuer le pan sociologique des travaux, parfois au détriment de leur qualité formelle, les deux autres sections – « Reconstruire la nature » et « Mémoires des corps » – mettent en scène des œuvres marquantes. On y retrouve des artistes renommés, comme Pino Pascali, avec une magnifique sculpture-relief, des vagues blanches qui forment une cascade (Cascate, 1966) ou Claudio Parmiggiani (Cercle de plumes, cercle de feu, 1969). Le choix des corps ou de leurs mémoires résiduelles laisse une place importante à l’art conceptuel. Une main chez Giovanni Anselmo (Particolare, 1972-2022), des chaussures avec Marisa Merz (Senza Titolo (Scarpette), 1975), des yeux chez Carol Rama (Vedo… vedo…, 1967), ces traces, ces ombres, ces reflets suggèrent plus qu’ils ne montrent. Enfin, Giulio Paolini nous tourne littéralement le dos dans 1421965 (1965) et Eliseo Mattiacci recouvre son visage avec de l’argile (Rifarsi, 1973). On est décidément loin d’une vision glorieuse du corps.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Le Mamac revisite L’Avant-garde italienne