Art contemporain

PHOTOGRAPHIE, FILM, VIDÉO

Comment l’Arte povera a expérimenté la photo et le cinéma

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2022 - 706 mots

PARIS

Le Bal et le Jeu de paume présentent une exposition en commun sur l’utilisation de ces médiums par les artistes italiens des années 1960 à 1975.

Paris. Pour la première fois, Le Bal et le Jeu de paume s’associent pour proposer une exposition autour de l’Arte povera, un projet ébauché il y a plus de dix ans et qui se concrétise aujourd’hui dans un parcours aussi stimulant intellectuellement que visuellement. « Le projet est né du travail de Giuliano Sergio [professeur d’histoire de l’art contemporain aux Beaux-Arts de Venise] sur l’utilisation de la photographie, de la vidéo et du film par l’avant-garde italienne des années 1960-1970 », explique Diane Dufour, directrice du Bal, co-commissaire de l’exposition avec Quentin Bajac, directeur du Jeu de paume. C’est donc une scène artistique italienne qui s’étend bien au-delà de la période de l’Arte povera et de ses membres que l’on trouve réunie sous cet angle dans les deux centres d’art.

Le parcours est divisé en quatre sections thématiques réparties entre les deux lieux, et « sans chronologie de manière à ce que le visiteur puisse [l’]entamer comme il le souhaite ». Le visiteur peut ainsi aller indifféremment de la section « Corps » au Bal, consacrée plus spécifiquement à l’appréhension par l’artiste de la question de son rôle et de sa place, aux trois autres sections du Jeu de paume, focalisées sur l’expérimentation, la réflexion critique menée sur et par l’image, et la dimension théâtrale et performative liée à l’époque.

Trois cercles d’artistes

Commencer par Le Bal permet toutefois de cerner les enjeux qui gouvernent cette mouvance artistique entre 1960 et1975 tout en introduisant à quelques-unes de ses figures représentatives, connues ou moins connues. « Des artistes que l’on peut répartir en trois cercles, souligne Quentin Bajac. Ceux du noyau dur associés à l’Arte povera pour ce qui concerne le premier ; les compagnons de route comme Gino De Dominicis pour le deuxième ; et ceux que l’on a associés pour leurs œuvres dans un troisième et dernier cercle plus suggestif comme Carlo Alfano, Franco Vaccari ou Ketty La Rocca. » Avec au final une myriade de dialogues entre des œuvres comptant parmi les créations les plus marquantes de cette période (dont deux reconstituées spécialement par Giuseppe Penone pour l’exposition) toujours porteuses, soixante ans plus tard, d’une force vivifiante, d’une énergie communicative. Tableaux-miroirs de Michelangelo Pistoletto ou agrandissement photographique puis amputation en son milieu d’un portrait de Jaspers Johns découvert dans un magazine dont l’artiste ne garde que les oreilles ; poitrine de Pasolini recevant les images projetées de son film L’Évangile selon saint Matthieu lors d’une performance de Fabio Mauri : qu’elle soit fixe ou en mouvement, l’image questionne, partage, enregistre, documente un rapport au monde et à l’art.

Un imaginaire anthropologique

« Ces artistes ne cherchent pas à renouveler le langage photographique ni cinématographique. Ils veulent déconstruire la peinture, la sculpture, interroger le rôle, la position de l’artiste, et réfléchir à un nouveau langage artistique plus qu’à créer de nouvelles images. La photographie, le film et la vidéo sont des outils qui leur permettent ainsi de parler de la peinture sans en faire », explique Giuliano Sergio. À travers les tentatives d’envol de De Dominicis ou d’Alighiero Boetti, ou la saisie d’une toile vierge par Giulio Paolini photographié de dos les bras en croix dans l’atelier (203 x 153 cm), « les artistes jouent avec un imaginaire anthropologique commun ». Leur radicalité est moins une marque de rupture que l’expression de leur relation à la vie et à la création. La photographie, le film ou la vidéo sur tous supports et dans toutes les dimensions leur permettent ce « jeu de mise en abyme » avec une poésie et une richesse d’expressions libérées de toute idéologie qui, au Jeu de paume comme au Bal, emportent le visiteur.

De Piero Manzoni à Pistoletto, de Penone à Claudio Parmiggiani, l’image en noir et blanc domine car « elle est l’esthétique documentaire. La couleur pour eux est liée au reportage, à l’esthétique de la réalité, à la peinture, à la vie. Raconter la vie ne les intéresse pas », souligne Giuliano Sergio. Un seul regret, la relative absence des femmes dans cette mouvance artistique : cinq noms sur la soixantaine d’artistes présentés, malgré les recherches menées par les commissaires de l’exposition sur et autour de l’Arte povera.

Renverser ses yeux. Autour de l’Arte povera 1960-1975 : photographie, film, vidéo,
jusqu’au 29 janvier 2023, au Bal, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris, et au Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75001 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°597 du 21 octobre 2022, avec le titre suivant : Comment l’Arte povera a expérimenté la photo et le cinéma

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