Alors que paraît une « bible » de l’Arte Povera sous l’égide de son créateur, Germano Celant, rencontre avec l’un des meilleurs spécialistes du mouvement, Giovanni Lista, auteur d’un ouvrage d’une érudition rare sur le sujet, et frère de l’artiste povériste Pietro Lista.
L’œil : Comment l’Arte Povera est-il devenu si rapidement fameux ?
Giovanni Lista : La scène artistique italienne était alors en pleine effervescence et très ouverte aux échanges internationaux. Ce succès vient du fait qu’il a su cristalliser très rapidement l’intérêt conjoint des collectionneurs, tels Marcello Rumma à Salerne et Marcello Levi à Turin, des critiques, tels Carla Lonzi, Tommaso Trini et Germano Celant, et des galeries italiennes les plus actives. Un rôle particulier a été joué par les échanges entre la galerie Sonnabend à Paris et la Galleria Sperone à Turin, mais aussi par des expositions internationales, telle la célèbre « Quand les attitudes deviennent formes » présentée à Berne, en 1969, par Harald Szeemann.
L’œil : En quoi l’Arte Povera n’est pas simplement la version italienne du Minimalisme, du Land Art et de l’Art conceptuel réunis ?
G. L. : Certaines composantes de l’Arte Povera s’apparentent en effet à ces trois courants de l’art américain. Mais cela faisait partie du zeitgeist, de l’esprit du temps. L’Arte Povera a été une démarche spontanée qui a pu refléter certaines idées de la scène artistique internationale, mais qui n’a en aucun cas cherché lucidement à les additionner. Tout l’art de l’époque obéissait, par exemple, au principe du concept comme matériau premier de l’activité de l’artiste.
L’Art conceptuel ignore toutefois l’esprit de guérilla et la volonté d’une stratégie politique qui caractérisent l’Arte Povera, à ses débuts du moins. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que le Minimal Art a été introduit en Italie seulement en 1966-1967, lorsque l’Arte Povera était déjà une réalité. Le Minimal Art préconise en outre une mise à distance de la fabrication de l’œuvre, une approche industrielle, puritaine et froide de l’art, alors que l’Arte Povera est pleinement incarné : il s’exprime par une réalisation artisanale de l’œuvre et il n’a peur ni de la beauté ni de la sensualité de la forme.
Quant au Land Art, il correspond à une intervention de l’homme qui laisse sa trace au sein des espaces immenses d’une nature vierge, typiquement américaine. Les espaces naturels en Europe, et surtout en Italie, sont au contraire anthropomorphisés, c’est-à-dire cultivés et modelés depuis au moins l’époque romaine. Les œuvres de Penone ont ainsi une dimension dialectique. La nature y est sollicitée afin qu’elle puisse interagir avec le geste de l’artiste qui connaît et exploite les capacités de croissance des éléments végétaux.
L’œil : Peut-on voir dans certaines œuvres une posture morale ? La manifestation d’une ascèse contre l’opulence consumériste des années 1960 ?
G. L. : Certainement, mais il ne s’agit pas de moralité, il faudrait plutôt parler d’une exigence éthique et de la recherche d’une authenticité, d’une vérité morale. Le début des années 1960 coïncide en Italie avec l’avènement d’une société de consommation, selon le modèle américain, et avec le triomphe du développement industriel qui se reflète dans les nouvelles œuvres d’art technologique du Groupe T et du Groupe N, saluées par Giulio Carlo Argan comme la fin souhaitée d’un « art humaniste ». L’Arte Povera naît au même moment, entre 1960 et 1962, en préconisant un retour à la matérialité et à l’élémentarité d’une expérience directe du monde sensible, à l’immanence physique des forces et des matériaux saisis à travers une nouvelle osmose vitale entre l’homme et les choses, c’est-à-dire un retour aux origines mêmes de l’art.
L’œil : Plusieurs musées italiens consacrent jusqu’en 2012 des expositions à l’Arte Povera. Est-ce une forme de rachat ?
G. L. : Les institutions officielles italiennes n’ont pas ignoré l’Arte Povera, même si en Italie subsiste l’éternel problème d’un art contemporain négligé ou marginalisé à cause de l’omniprésence des chefs-d’œuvre de l’art du passé. Ces expositions sont nées de l’idée de célébrer ainsi les 150 ans de l’unité nationale du pays. Car après le futurisme, l’Arte Povera est le seul mouvement artistique qui a connu une expression multiple à l’échelle nationale de l’Italie.
Germano Celant (sous la dir. de), Arte Povera. Storia e Storie (bilingue anglais-italien), Mondadori Electa (Milan), 2011, 640 p., 70 €.
Giovanni Lista, Arte Povera, 5 continents (Milan-Paris), 2006, 112 p., 16,95 €
Giovanni Lista, Arte Povera, interviste curate e raccolte, Abscondita (Milan), 2011, 240 p.
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Giovanni Lista : « Après le futurisme, l’Arte Povera est le seul mouvement artistique italien »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Giovanni Lista : « Après le futurisme, l’Arte Povera est le seul mouvement artistique italien »