L’hôtel de Caumont se penche sur une année de Nicolas de Staël dans le Sud. Un moment de paysage au plus près de l’acte créatif.
Aix-en-Provence. Pour comprendre au mieux l’exposition estivale de l’hôtel de Caumont consacrée à Nicolas de Staël (1914-1955), sans doute faut-il se plonger dans sa correspondance avec le poète René Char (éd. des Busclats, 2010). Entre 1951 et 1954, les deux hommes échangent couramment et tissent une amitié autour de leurs projets communs dans l’édition. Char, originaire de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), organise l’arrivée de De Staël avec femme et enfants en Provence, en juillet 1953. Là, en moins d’un an, Staël peint 254 tableaux et environ 300 dessins.
« Le “cassé-bleu” c’est absolument merveilleux, au bout d’un moment la mer est rouge, le ciel jaune et les sables violets, et puis cela revient à la carte postale de bazar, mais ce bazar-là et cette carte, je veux bien m’en imprégner jusqu’au jour de ma mort », écrit le peintre arrivé à Bormes-les-Mimosas au poète resté à Paris. Cette phrase pourrait résumer le travail de Marie du Bouchet et Gustave de Staël, les commissaires de l’exposition, consistant à interroger la frénésie créatrice du peintre, à comprendre en quoi les lumières et les paysages provençaux ont inspiré ses toiles et sa palette.
De Staël ne se refuse rien et tente tout : grands et petits formats, palette chaude et tonalités acidulées, figures et paysages, empâtements et matière lisse. L’abstraction se laisse pressentir mais le paysage s’impose toujours comme sujet à part entière. Nicolas de Staël sait à quels maîtres il se confronte lorsqu’il lutte pour trouver la couleur du Sud : Cézanne, Braque, Picasso.
Le corpus de 71 toiles réuni par les commissaires, pour la plupart encore en mains privées des deux côtés de l’Atlantique, impressionne par sa qualité. Car si sa reproduction photographique ne rend rien, la peinture de De Staël se rencontre physiquement. Entre les monts du Vaucluse, les sentiers du Luberon, les ports de Marseille ou de Martigues, le peintre construit une œuvre originale, avec ses propres valeurs chromatiques. Dans Agrigente (1954), le ciel est aubergine, la route vieux rose, les champs rouges ou jaunes. La peinture est intense, vibrante, sans tomber dans la couleur pure car le paysage n’est pas prétexte mais bel et bien centre de la recherche spatiale. Elle n’est pas non plus dénuée de sentiments, entre exaltation et liberté. Un arbre rouge (1953) révèle la fulgurance du peintre : le rouge carmin du feuillage n’a pas eu le temps de sécher que le peintre a déjà redressé la toile, provoquant des coulures. Cet arbre, en saignant, devient autre, radical et tranchant.
Une magnifique Figure (1954), jamais exposée, est troublante : y aurait-il deux figures imbriquées, comme l’imagine Gustave de Staël ? L’épouse et l’amante, Françoise et Jeanne ? Nicolas de Staël est parti un matin de mars 1954, sans donner la réponse.
jusqu'au 23 septembre, hôtel de Caumont, centre d'art, 3, rue Joseph-Cabassol, 13100 Aix-en-Provence.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : De Staël, intense en Provence