CHAUMONT-SUR-LOIRE
Pour cette 15e édition de la Saison d’art, les portes du château ont été ouvertes à Jean Le Gac, qui en occupe pas moins de dix salles. Tandis qu’une quinzaine d’autres artistes, parmi lesquels des découvertes, sont éparpillés dans le domaine.
Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher).« Je ne suis pas le seul artiste à bâtir une œuvre sur une erreur. La mienne remonte à mon enfance : le premier peintre que j’ai vu était un peintre du dimanche. Je me suis ensuite bagarré pour que cette image improbable puisse quand même être utilisée en art contemporain. »« Je n’ai jamais eu de voitures de ma vie, je ne sais pas conduire et je n’ai pas le permis. C’est sans doute pour cela que j’en ai souvent peintes ou dessinées. » « Le pastel c’est tellement beau qu’il faut le contrarier »… Jean Le Gac (né en 1936) était très en verve lors de la visite de presse de cette 15e édition de la Saison d’art de Chaumont-sur-Loire. Il faut dire que Chantal Colleu-Dumond, la directrice du domaine et commissaire des expositions, lui a donné une place de roi, soit les dix salles des galeries hautes du château où sont présentées quelque 100 œuvres, datées de 1968 à aujourd’hui. Un choix légitime pour au moins deux raisons. Intitulé « En plein air », l’ensemble rappelle à quel point le rapport à la nature (qui a toujours été le thème majeur de la Saison d’art) est constitutif de la démarche de Le Gac. « Aujourd’hui je ne cours plus dans les champs, je ne saute plus au-dessus des haies. Mais j’aime toujours autant travailler en extérieur. J’attends que le paysage me donne une réponse », dit-il. D’autre part, il y a longtemps que l’on n’avait pas eu l’occasion de voir une telle sélection d’œuvres d’un artiste malheureusement pas assez montré. On retrouve sa pratique singulière qui combine peinture, dessin, photo, écriture pour assimiler l’art à la fiction. Selon la répartition en trois catégories que fait chaque année la commissaire, Le Gac fait partie de celle consacrée à des artistes qui ont été en vue à un moment de leur carrière, qui le sont moins aujourd’hui et auxquels elle a envie de redonner un coup de projecteur.
Figurant parmi les noms actuellement reconnus, Jaume Plensa accueille le visiteur avec trois grandes sculptures en bronze patiné en noir, évocation chacune d’un visage d’enfant aux yeux clos, silencieux, mystérieux, comme un totem invitant au recueillement. Elles font écho à celles de Pascal Convert installées dans le château l’an passé. De même, les beaux tableaux de Carole Benzaken sur le thème de la bibliothèque, réalisés spécialement pour l’occasion et accrochés dans la galerie basse de l’aile ouest, résonnent avec des œuvres du même Convert installées depuis quelques années dans la bibliothèque du château. De plus en plus, des correspondances et des dialogues entre des œuvres pérennes ou restées d’une année sur l’autre sont établies avec les nouvelles venues. Quelques pas plus loin, Stéphane Guiran a, lui, plongé dans l’obscurité la galerie basse du fenil, laissant la lumière sur un seul tronc d’orme comme une ligne suspendue dans l’espace, auréolée d’une constellation de Sélénites nitescents et accompagnée d’un chant enregistré sur place.
Dans la catégorie des révélations, qui réserve toujours d’agréables surprises, qu’il s’agisse de jeunes artistes ou de plus âgés, les palmes reviennent cette année à Christiane Löhr (née en 1965) qui a installé dans la tour du roi ses architectures fragiles et délicates faites de pistils, brindilles, pissenlits… pour ériger des cathédrales à l’infiniment petit. Ou encore à Lélia Demoisy (née en 1991) qui, dans la galerie haute de l’asinerie, conjugue peau de serpent et bois d’olivier pour inventer des rencontres, sutures et hybridations improbables entre le règne animal, végétal et minéral.
Enfin, au registre des ouvertures, signalons, celle d’un nouvel espace, la « galerie digitale », au dernier étage de l’aile est du château où est montrée une création numérique sur quatre grands écrans de Quayola. Ainsi que l’inauguration le mois dernier, sur le site même du domaine, de l’hôtel Le Bois des chambres pensé comme « un hôtel d’arts et de nature ». Aurait-il pu en être autrement ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Chaumont-sur-Loire, l’art par nature