Le site antique que les Saoudiens veulent exploiter – avec l’aide de la France – en une vaste zone touristico-culturelle présente un avant-goût de ses découvertes à l’Institut du monde arabe.
Paris.« Al-Ula est le chaînon manquant dans l’histoire du Moyen-Orient », assure le Saoudien Amr Al-Madani, président de la Commission royale pour Al-Ula. De fait, les chiffres avancés donnent une idée de l’importance du site : une vallée de trente kilomètres de long, des milliers d’inscriptions antiques et islamiques, une surface de 22000 km², une occupation humaine qui s’étend sur plus de cinq millénaires. Si la France fouille le site depuis 2002, c’est « la première fois que sont montrés en France et en Europe » les résultats de ces travaux, selon les commissaires de l’exposition Laïla Nehmé, du CNRS, et Abdulrahman Alsuhaibani, de la Commission royale pour Al-Ula.
Dans la première partie, les visiteurs ne verront pas les objets découverts à Al-Ula, mais ils pourront « ressentir » l’immensité du site à travers les vidéos en haute définition de Yann Arthus-Bertrand et une bande-son enregistrée dans l’oasis. Pour Laila Nehmé, cette partie est « avant tout immersive, [...] avec les vidéos du site, les bruits des oiseaux de l’oasis et un parfum créé spécialement ». Des dispositifs multimédias rappellent les contrastes qui structurent le site, entre oasis verdoyante, terres agricoles et falaises minérales.
Vient ensuite la partie historique de l’exposition, dans un ordre chronologique. Ici, la minéralité domine, car la plupart des pièces exposées sont en pierre : colonnes brûle-encens des royaumes arabes de Dadan et Lihyan (du VIIIe au IIe siècle av. J.C.), statues monumentales en grès rouge de la même période, façades de tombeaux nabatéens creusés dans les falaises (du Ier siècle av. J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.). Des vidéos sur grand écran jouent également sur les couleurs chaudes des montagnes environnantes. La ville nabatéenne se nomme Hégra, et pour Laïla Nehmé, c’est « la jumelle de Pétra », autre site nabatéen en Jordanie : les deux cités, classées au Patrimoine mondial de l’Unesco, ont prospéré grâce aux routes caravanières. Les visiteurs de l’IMA (Institut du monde arabe) passent sous un fronton de tombe nabatéenne, puis dans une petite salle où est exposé le contenu d’une tombe de femme, squelette compris : c’est la seule présence humaine dans cette partie de l’exposition.
L’essentiel se situe juste après, sous la forme d’inscriptions sur pierre en diverses langues et écritures sémitiques antiques. Car la découverte de ces inscriptions a permis d’affiner les connaissances sur l’écriture alphabétique arabe avant le VIe siècle. « Au VIe siècle de notre ère, l’écriture arabe est déjà fixée, mais on voit apparaître sa préfiguration entre les IIe et Ve siècles », précise Laïla Nehmé. La phase de transition entre les différentes écritures de la période nabatéenne et l’arabe se situe vers 280, d’après une inscription trouvée à Hegra. Sur cette question assez technique, les cartels font preuve de pédagogie, mais les visiteurs doivent fournir un effort de compréhension.
Après un bref épisode romain aux IIe et IIIe siècles, dont attestent des monnaies, la vallée d’Al-Ula perd de son importance jusqu’à la période musulmane, où elle devient une escale sur la route de La Mecque pour les croyants venant de Syrie et de Mésopotamie. Là encore, des inscriptions témoignent du passage de pèlerins du Proche-Orient, ainsi que des objets venus des califats abbasside (Irak) et fatimide (Égypte) et de charmantes figurines de dromadaires en bronze. « Le site se développe avec la création de la ville de Qurh au Xe siècle, puis celle d’Al-Ula, avec 900 maisons à toit plat », résume Abdulrahman Alsuhaibani. Peu de pièces évoquent cette période, de même que l’arrivée du chemin de fer à Al-Ula au début du XXe siècle. Ces thèmes n’ont visiblement pas éveillé l’intérêt des deux commissaires, spécialistes d’archéologie.
Si l’articulation entre les deux parties de l’exposition reste un point faible, le parcours permet de prendre la mesure d’un site dont l’importance pour l’histoire régionale est fondamentale et dont seulement 5 % ont été fouillés à ce jour d’après les commissaires.
L’Afalula, outil de diplomatie culturelle
Accord franco-saoudien. Dans le cadre du programme Vision 2030 de l’Arabie saoudite, Al-Ula fait l’objet d’un grand plan de développement culturel, économique et écologique. Ce projet franco-saoudien s’appuie sur la Commission royale pour Al-Ula, du côté de l’Arabie saoudite, et sur l’Afalula (Agence française pour le développement d’Al-Ula), du côté de l’Hexagone. Cette dernière est présidée par Gérard Mestrallet (ex-P.-D.G. du groupe Engie), assisté d’une trentaine de personnes. Créée en juillet 2018 après la signature d’un accord entre les deux pays, l’Afalula doit « accompagner le développement du site [...] et proposer l’expertise française » pour les différents aspects du projet : patrimoine, culture, environnement, recherche et tourisme. L’exposition à l’IMA faisait d’ailleurs partie de l’accord dès le début. Côté culture et patrimoine, il est prévu de construire sept musées sur le site, d’étendre les fouilles archéologiques dès la fin 2019 et de créer un festival de Land Art. La première phase d’investissement, jusqu’en 2023, avoisine les 4 milliards de dollars selon Amr Al-Madani, qui annonce aussi un assouplissement des conditions d’accès au site pour l’automne 2020. L’accord signé en avril 2018 est amené à devenir un traité, plus contraignant pour les deux pays, ce qui renforce le rôle de la diplomatie culturelle française dans un projet qui s’annonce très international.
Olympe Lemut
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Al-Ula, carrefour des cultures moyen-orientales