PARIS
Le projet de loi sur la restitution des œuvres spoliées aux Juifs par les nazis a été adopté par le Sénat. Suivront deux textes, l’un consacré aux biens culturels issus d’un contexte colonial, l’autre aux restes humains.
Paris. Adopté par le Sénat le 23 mai, le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 est le premier des trois textes destinés à faciliter les dispositifs de restitution. Pour l’heure, le principe d’inaliénabilité des collections contraint le législateur à opérer au cas par cas, grâce à des lois d’espèce. C’était le cas en février 2022, pour quinze œuvres volées durant la période nazie, en 2020 lors de la restitution des œuvres issues du pillage du palais royal d’Abomey à la République du Bénin, mais aussi en 2002 lorsque la dépouille de Saartjie Baartman [cette femme khoïsan réduite en esclavage et exhibée en Europe sous le surnom de « Vénus hottentote »] avait quitté les réserves du Muséum d’histoire naturelle pour être inhumée en Afrique du Sud.
Spoliations nazies, biens culturels issus du colonialisme et restes humains seront traités dans trois textes distincts, ainsi que le recommande le rapport « Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art » remis en avril par Jean-Luc Martinez. Chargé par le président de la République de ce dossier, l’ancien président-directeur du Louvre estime dans son rapport que scinder la question en trois textes « présenterait l’avantage de bien souligner que le vocable de “restitution” recouvre des contextes et des réalités historiques très différents » : la formule permet en outre de ne pas laisser le Sénat sur la touche, lequel a préparé et adopté un texte sur la restitution de restes humains dès janvier 2022. Les sénateurs restent à l’initiative sur le sujet, avec une nouvelle proposition de loi déposée le 26 avril. Les textes concernant les biens spoliés et les biens issus d’un contexte colonial sont des projets de loi du gouvernement.
Le troisième texte devrait s’inscrire dans la continuité du discours de Ouagadougou (Burkina Faso) en novembre 2017, dans lequel Emmanuel Macron ouvrait la porte à un retour du patrimoine africain en Afrique. Jean-Luc Martinez prend ce discours comme référence pour tracer les limites souhaitables de la loi : le président de la République y évoquait une relation de « partenariat » avec les États africains, et non de « repentance » ou de « réparation ». Ainsi, le contexte colonial est mis à distance dans les recommandations du rapport, bien que les objets culturels concernés soient quasiment tous issus de ce contexte. Des trois appréciations géographiques envisageables, c’est la plus large qui est retenue : celle d’un cadre universel, qui a l’avantage de couvrir toutes les demandes de restitution adressées aujourd’hui à la France, contrairement aux deux autres propositions (se limiter aux anciennes colonies françaises, ou au continent africain).
Neuf critères sont retenus pour qu’une demande de restitution soit traitée, dont quatre reflètent là aussi l’esprit du discours de Ouagadougou : les États demandeurs doivent s’engager à conserver un usage patrimonial au bien restitué, à limiter leur demande à des biens ciblés (pas de restitution massive d’un ensemble d’objets provenant d’un pays), à ne pas formuler de demande de réparation financière et à s’inscrire dans une logique de partenariat. Le rapport souligne que ces conditions posées à la restitution s’opposent à la vision de certains États – comme le Sénégal – ou des diasporas africaines en Europe, très investies sur le sujet et qui considèrent que les restitutions sont un dû dont l’ancienne puissance coloniale doit s’acquitter sans conditions.
Le partenariat voulu par Emmanuel Macron s’incarne aussi dans une proposition de Jean-Luc Martinez, celle de « patrimoine partagé », qui répond au problème des objets ne satisfaisant pas aux neuf critères de restitution mais revêtant une importance symbolique pour un État partenaire. La statuette du dieu Gou pour le Bénin, ou les effets personnels de l’émir Abd el-Kader pour l’Algérie sont ainsi entrés de manière légale dans les collections françaises, tout en ayant une importance capitale pour le récit national de ces deux États. Une propriété partagée étant exclue par la législation française, l’idée d’un label « patrimoine partagé », parallèle aux lois-cadres, permettrait de résoudre ces dossiers culturels et diplomatiques : concrètement, il s’agirait simplement d’un dépôt à long terme.
En ce qui concerne la loi encadrant la restitution des restes humains, les recommandations de Jean-Luc Martinez reprennent largement l’article 2 du texte adopté par les sénateurs en janvier 2022. La nouvelle proposition de loi déposée fin avril adapte légèrement ce premier texte, en précisant une limite temporelle arbitraire suggérée par le rapporteur : les restes humains doivent avoir moins de 500 ans pour être restituables. Cette borne chronologique exclut du processus les restes à valeur archéologique. Tout comme pour les biens culturels, la demande doit émaner d’un État.
La restitution des biens culturels et des restes humains suppose un travail scientifique, que le rapport souhaite « bilatéral » entre les États demandeurs et la France. Ce travail doit permettre d’établir l’illégalité ou l’illégitimité de la propriété d’un bien culturel, d’identifier les restes humains et de restituer un contexte de collecte « portant atteinte au principe de la dignité ». Pour les biens spoliés aux Juifs, ce travail sur les provenances est assuré par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations. Dans les deux autres cas de figure, le rapport préconise la création de comités scientifiques ad hoc pour chaque dossier, rejetant l’option d’une commission pérenne ainsi que le proposait le Sénat dans l’article 1 de sa première proposition de loi. Une différence qui devrait animer la présentation du projet de loi sur les biens culturels au Palais-Bourbon, prévue à la fin de l’année. La proposition de loi sur les restes humains passera quant à elle en séance publique le 13 juin. Le 23 mai, c’est à l’unanimité que le Sénat a adopté le projet de texte sur les biens spoliés aux Juifs.
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Restitutions : une loi adoptée, deux en préparation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : Restitutions : une loi adoptée, deux en préparation