Lyon mène à tout à condition d’en sortir

Réussite artistique et vie en province ne sont plus incompatibles

Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1995 - 711 mots

Il y a peu, les artistes lyonnais n’avaient guère d’alternative entre l’émigration vers la capitale et le militantisme du \"vivre et travailler au pays\". Avec la multiplication des lieux de diffusion et l’amélioration de la circulation des hommes comme des idées, travailler à Lyon et réussir une carrière d’artiste ne sont plus impossibles.

LYON - Comment peut-on être Lyonnais ? demande le Parisien faussement averti. À dire vrai, la question se pose de moins en moins, et si le choix de travailler à Lyon est souvent fortuit (on y est né, on y a trouvé un travail), il ne semble pas entraver outre mesure le déroulement de la carrière artistique.

Pour bon nombre d’artistes – on en compte environ 180 sur l’agglomération et plus de 550 sur la région –, l’installation à Lyon procure une base de travail non dénuée d’avantages, car on y trouve "des ateliers pas chers, une ville calme et de bons restaurants !", énumère Jean-Philippe Antoine, un peintre récemment arrivé.

Outre sa position géographique, l’agglomération offre un bon réseau de centres d’art et de lieux pour l’art contemporain. Ce réseau a permis à plusieurs artistes de démarrer et aux autres de s’informer. Jean-Jacques Rullier, un jeune artiste en pleine ascension, considère que ces centres "permettent de faire ses premières armes. J’ai appris à Genas et Saint-Fons à monter une exposition et à gérer un espace".

Réticence lyonnaise
Mais ce circuit laisse nécessairement de nombreux plasticiens à l’écart, ce qu’ils supportent mal lorqu’ils sont installés à Lyon. Valéry Grancher, un jeune artiste féru de nouvelles technologies, estime que "la mentalité du milieu de l’art lyonnais est exécrable à l’égard de tout ce qui vient de Lyon. Il y a un boycott par rapport à ce qui est proche". Une opinion partagée par Jean-Philippe Antoine : "Il y a beaucoup d’institutions, mais peu s’intéressent aux gens installés ici". Ironiquement, Jean-Jacques Rullier relève qu’il est "plus facile d’exposer hors de sa région d’origine".

Posant clairement les limites du système institutionnel, Alain Bublex, qui vit de son travail, estime que "le circuit des centres d’art amène de la notoriété mais pas d’autonomie financière. Les artistes, surtout les jeunes, n’en sont pas toujours conscients".

Or ce circuit institutionnel n’est pas relayé par un marché local. Pour Christian Lhôpital, peintre et Lyonnais de souche, "il n’y a pas de marché à Lyon et peu de galeries". Catherine Loth, une artiste qui pratique l’installation, renchérit : "Les galeries et les collectionneurs sont orientés vers le pictural et l’expressionnisme". Confrontés à cette situation, les jeunes artistes essayent de contourner le problème en niant les impératifs économiques. Catherine Franquin, photographe sortie récemment des Beaux-arts, explique qu’elle "ne cherche pas à vendre" et qu’elle "n’est jamais allée rencontrer les responsables des deux galeries photo de Lyon".

Mais l’absence d’une véritable communauté artistique constitue l’une des principales faiblesses de la vie artistique lyonnaise. Alain Bublex constate froidement : "Je ne suis en contact avec personne". En effet, il n’y a pas "de lieu de rencontre ouvert pour confronter les différentes propositions artistiques", regrette Christian Lhôpital. Ceci contribue à isoler les jeunes artistes : "Moi je ne vois que les gens que j’ai connus aux Beaux-arts, je ne connais pas d’artistes plus âgés par exemple", constate Cécile Dupaquier, diplômée cette année.

Circuler impérativement
Alors s’il fait bon vivre à Lyon, il est impératif pour exercer son métier de nouer des liens avec l’extérieur. Les artistes satisfaits de leur sort à Lyon sont ceux qui ont cette possibilité. Christian Lhôpital, par exemple, a une galerie à Lyon et une autre à Paris : "Si on vit dans une région, on est vite catalogué comme artiste régional. Au début de ma carrière, j’allais souvent à Paris, je montrais mon travail et je visitais les expositions". Jean-Jacques Rullier a adopté la même stratégie : "J’ai séjourné un an à Paris après mon diplôme, puis j’ai pris un appart’ à 300 balles par mois à Lyon et un abonnement au TGV…".

Mais favoriser ce mouvement risque à terme d’appauvrir le tissu artistique lyonnais. Car d’autres villes menacent Lyon sur son propre terrain. Catherine Franquin constate ainsi : "La plupart de mes amis sont allés sur Marseille. On dit qu’on y trouve des ateliers facilement, qu’il y a des subventions". Un "exil" bien tentant en effet.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : Lyon mène à tout à condition d’en sortir

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