La crise économique frappe la création contemporaine de plein fouet sans pour autant pousser les artistes bruxellois à émigrer. Comme le déclare Michel Mouffe, \"Bruxelles est une ville chaotique, et là où règne une certaine forme de chaos s’installe invariablement une forme de liberté\".
Rares sont les créateurs de la génération des 30-40 ans qui n’ont pas à subir directement les effets de la crise et, tout d’abord, la faillite des galeries. L’incertitude est donc le lot quotidien, et la part des relations publiques tend souvent à croître singulièrement. Si certains préfèrent se replier sur eux-mêmes, d’autres – comme Michel François – passent de galerie en galerie en fonction de la nécessité. Toutefois, rares sont ceux qui renoncent définitivement à Bruxelles.
La ville plaît aux artistes car elle offre une qualité de vie que peuvent difficilement imaginer New-Yorkais ou Parisiens. Le coût de la vie y est moins élevé, et les logements, abondants, ne sont ni onéreux ni étriqués. Les ateliers se négocient entre 5 000 et 15 000 francs belges (entre 850 et 2 500 francs français) dans les quartiers populaires, où anciens entrepôts et ateliers dépassent régulièrement les 300 m2. La première qualité de la ville réside dans ce confort, qui rappelle davantage la province qu’une métropole. La ville reste à dimensions humaines, et les contacts se nouent assez rapidement.
Pour les plus jeunes, qui viennent de quitter l’école ou l’académie, la situation apparaît plus précaire. Les galeries s’y intéressent peu. La sélection s’opère durant les cinq ou six années qui suivent la fin des études. Caroline Pirotte, qui expose chez d’Huysser trois mois après avoir été diplômée de La Cambre, fait figure d’exception. Aussi voit-on fleurir, dans les communes les moins favorisées comme Schaerbeek, des squatts de jeunes artistes. Dans les écoles d’art, les propos tenus par les étudiants témoignent que l’actualité est à la contestation. Le refus du plan de fusion des grandes écoles cristallise leurs angoisses devant l’avenir (voir page 6).
Peu de lieux alternatifs
Les artistes traduisent tous la même désillusion à l’égard de la vie culturelle bruxelloise et du désintérêt que le public manifesterait pour la création contemporaine. Les artistes reprennent ainsi un discours déjà entendu dans les galeries, où le Bruxellois n’entre qu’à grand peine. On se sent incompris, et la morosité s’installe. D’autres, comme le critique d’art Michel Botquin, perçoivent une évolution : "L’individualisme a toujours constitué le maître-mot des acteurs de la vie artistique. Aujourd’hui, la crise impose une nouvelle attitude. Une certaine forme de corporatisme devrait permettre de mener à bien les projets nécessaires pour que les artistes puissent s’épanouir dans une structure faite pour les épauler et non plus pour les combattre".
Face à cette espérance de "front commun", on conviendra aisément de l’individualisme qui prédomine à Bruxelles. Contrairement à nombre de grandes villes européennes, la capitale belge ne compte que peu de lieux alternatifs regroupant une création dissidente. Au contraire, jusqu’à présent, l’artiste s’intègre à un milieu contre lequel il ne réagit que faiblement. La crise et la fermeture accélérée de près d’un quart des galeries bruxelloises risquent pourtant de transformer la situation.
"Bruxelles a cette particularité de donner en surface l’impression de sommeiller dans une vie institutionnelle pesante et de laisser se développer en underground une activité intense, réglée par des collections privées qui n’ont rien à envier aux musées". Chacun rêve de pénétrer ce monde obscur des collectionneurs avisés décrit par Michel Mouffe. Comme lui, un Pascal Bernier ou un Xio-Xia exposent peu, mais leur atelier est régulièrement visité.
Si la réputation acquise à l’étranger reste le meilleur atout pour s’imposer à Bruxelles, on assiste aussi à l’émergence de revendications quant à la mise en place d’une politique culturelle à Bruxelles. En tête des desiderata, la création d’un musée d’art contemporain qui soit pour les artistes à la fois moteur d’épanouissement et point de rencontre avec ce qui se fait ailleurs. Bruxelles vit bien sur un paradoxe : être une capitale européenne sans renoncer à la réalité d’une ville de province.
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Être artiste à Bruxelles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : Être artiste à Bruxelles