Gustave Courbet est né en 1819, il y a deux siècles. Pour fêter le bicentenaire de sa naissance, le Doubs, son département natal, et plusieurs musées en France célèbrent l’événement. Promenade inspirée…
« Quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune Église, à aucune institution, à aucune académie, à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté », écrit Gustave Courbet en 1861. Car le peintre n’a jamais pu se départir de cette ivresse de liberté qui le submergeait quand, enfant, il arpentait la campagne plutôt que d’écouter le maître sur un banc d’école. S’il quitte sa ville natale, Ornans, à 20 ans, en 1839, pour monter à Paris et y faire carrière, ce fils d’un propriétaire terrien aisé restera toute sa vie attaché à sa région. À l’occasion du bicentenaire de sa naissance, le département du Doubs, dont il est originaire, célèbre cet enfant du pays qui aura fait voler en éclats tout ce qui semblait établi, dans l’art comme dans la politique, au point de devoir finir sa vie en exil, à La Tour-de-Peilz, en Suisse. La ville, d’ailleurs, lui rend également hommage, en même temps que d’autres, en Suisse et en France. Et si on en profitait pour partir à la redécouverte de Courbet ?
Peut-être Yan Pei-Ming, celui qu’on tient pour « le plus français des peintres chinois », peut-il commencer par décaper notre regard. En mars 2019, ce peintre désormais établi à Dijon s’est installé dans l’atelier du maître, à Ornans, pour composer des toiles qui relèveraient le défi d’un face-à-face avec cet artiste qu’il admire depuis l’enfance. Ainsi, jusqu’au 30 septembre 2019, dans l’atelier même et dans le Musée Courbet, les tableaux des deux artistes dialoguent avec verve. Au sulfureux Sommeil de Courbet, où deux femmes nues s’enlacent avec volupté sur un lit aux draps soyeux, répondent ainsi… deux crocodiles prédateurs de Yan Pei-Ming !
L’exposition est aussi l’occasion de découvrir deux lieux où vécut l’artiste. D’une part, la maison où il passa quelques années de sa jeunesse à Ornans et qui abrite aujourd’hui son musée. D’autre part, l’ancienne fonderie que Courbet transforma en 1860 pour en faire son atelier. « Je viens de construire un atelier dans la campagne pour y travailler tranquillement, ce qui m’était indispensable », confie alors celui qui, toute sa vie, à Paris comme à Ornans, a cherché un lieu où il se sentît vraiment à son aise pour peindre ses grands formats.
Vous croyez y saisir enfin l’esprit de Courbet ? Le voilà qui se dérobe à nouveau, prenant la poudre d’escampette sur les chemins de campagne, à l’ombre des sous-bois ou dans la fraîcheur des sources. Ne vous affolez pas : un merveilleux topo-guide illustré, en vente au Musée Courbet et à l’office du tourisme, permet aux marcheurs de le retrouver, sur les sites des paysages qu’il a peints. Ici, c’est la ligne des roches du Puits-Noir, qu’il a peint une quarantaine de fois, et dont une toile, merveilleuse, est conservée au Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon. Plus loin, c’est le paysage de la source de la Loue, que l’on retrouve sur quatorze toiles de Courbet.
Ceux qui goûtent moins aux plaisirs de la marche se consoleront en s’instruisant à l’occasion d’un grand colloque international « Courbet autrement », du 27 au 29 juin, en se délectant des lectures organisées tout au long de l’été ou du « week-end danse spécial Courbet » des 21 et 22 juillet. Une randonnée à vélo le 6 août proposera aux sportifs – Courbet, qui faisait du patin à glace en hiver sur les lacs où il nageait l’été, marchait des kilomètres et montait à cheval, l’était assurément ! – de découvrir les sites chers au peintre.
Ne manquez pour rien au monde celui de la source de la Loue : non seulement, Courbet la peignit abondamment, sous divers angles et à différents moments de la journée, mais elle constitue aussi un site naturel remarquable, l’un des plus visités du Doubs. Ne passez pas non plus à côté de la ferme familiale de Courbet, à Flagey. Ce lieu pittoresque accueille tout l’été une exposition consacrée à l’amitié qui unit Courbet et l’architecte Léon Isabey ; ce dernier construisit le pavillon du réalisme à Paris en 1855 et celui de l’exposition de Courbet de 1867. Tous deux partageaient les mêmes idéaux démocratiques. « La région fut un berceau des mouvements socialistes utopiques. Sur ces terres se trouvaient en effet de nombreuses fruitières, qui fonctionnaient à la manière de coopératives, où l’entraide était essentielle », explique Frédérique Thomas-Maurin, directrice du Musée Courbet et commissaire des expositions de son bicentenaire.
Si cet attachement à ces idéaux démocratiques et son attention aux pauvres, enracinés dans sa terre natale, ont sans doute marqué la peinture réaliste de Courbet, il a aussi été la cause de grandes souffrances à la fin de sa vie : accusé d’avoir participé à la démolition de la colonne Vendôme pendant la Commune de Paris, il dut s’exiler en Suisse, où il mourut le 31 décembre 1877, à Tour-de-Peilz, pleuré par Jules Vallès et les autres réfugiés communards. Aujourd’hui, cette ville célèbre le bicentenaire de celui dont elle fut le dernier refuge, par la réalisation d’une fresque géante par le street artiste Franck Bouroullec en hommage à l’artiste ou encore par la création d’un parcours urbain sur les traces de ce dernier. Et le 23 août, sur la place des Anciens-Fossés, place au cinéma en plein air avec une « soirée Courbet ».
Si Courbet resta profondément attaché à sa région natale, il connut aussi, beaucoup, l’exil, forcé à la fin de sa vie, mais aussi volontaire. À Granville, en Normandie, l’exposition « Courbet, paysages de mer » du Musée d’art moderne Richard Anacréon en témoigne. Son point de départ : la redécouverte, en 2017, d’un tableau des collections du Musée d’art et d’histoire de Granville, la Vue du lac Léman, attribué à Gustave Courbet par Bruno Mottin, conservateur général du patrimoine. Son propos : donner à voir les échos entre les rivages et montrer la continuité entre les représentations de la Méditerranée, de la Manche et du Léman, comment l’inspiration née de la découverte des bords de mer trouve un écho dans les paysages de l’exil. « Je suis enchanté de ce voyage qui m’a développé beaucoup les idées sur différentes choses dont j’avais besoin pour mon art. Nous avons enfin vu la mer, la mer sans horizon (que c’est drôle pour un habitant du vallon). Nous avons vu les beaux bâtiments qui la parcourent. C’est trop attrayant, on se sent entraîné, on voudrait partir voir le monde entier », écrit le peintre à son père en 1841, à l’occasion de son premier voyage sur le littoral normand.
Et la Normandie n’est pas la seule à rendre hommage à ce peintre qui vécut et peignit sur ses terres : en collaboration avec l’Institut Courbet d’Ornans, le Musée de l’Échevinage de Saintes, capitale de la Saintonge, où Courbet vécut toute une année, entre 1862 et 1863, propose au public une vision personnelle et intime de l’artiste, à travers des œuvres moins connues, comme les Amoureux dans la campagne, prêtés par l’Institut Courbet. Pour les groupes, l’office du tourisme propose une pittoresque balade en gabare « sur les traces de Courbet ».
Et que les amoureux du peintre se rassurent : les festivités du bicentenaire ne s’achèveront pas avec l’été. À Montpellier, le Musée Fabre organise à la rentrée une exposition autour d’un des chefs-d’œuvre de sa collection : La Rencontre, dit Bonjour M. Courbet, peint à l’occasion de la venue de l’artiste à Montpellier, en 1854. À Ornans, le Musée Courbet propose à partir du 31 octobre une exposition « Courbet-Hodler », qui évoque l’amitié artistique et politique que nouèrent ces deux grands peintres à l’occasion de l’exil de Courbet en Suisse en 1873. Quant à ceux qui regretteraient de ne pas avoir visité l’exposition « Courbet dessinateur », qui faisait découvrir cet aspect méconnu de l’art du peintre au Musée d’Ornans, ils pourront l’admirer au Musée Jenisch, à Vevey, en Suisse, cet automne.
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Sur les traces de Courbet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°725 du 1 juillet 2019, avec le titre suivant : Sur les traces de Courbet