PARIS
Au fil des mois, les Parisiens s’étaient presque habitués à voir la colonne Vendôme, au centre de la place Vendôme, parée d’échafaudages et de bâches de protection.
Au terme d’importants travaux de restauration, la grande dame de bronze s’offre à nouveau à la contemplation. Le monument, âgé de seulement 206 ans, n’en est pourtant pas à son premier chantier. Entre le Premier Empire et la IIIe République, c’est un véritable ballet de sculptures qui s’est ainsi joué à 44 mètres du sol. Les gouvernements successifs ont en effet systématiquement remplacé la statue sommitale installée par le régime précédent par une œuvre différente. Surtout, et cela peut sembler difficile à imaginer tant elle est incontournable dans le paysage urbain, la colonne a carrément disparu, un temps, du ciel de la capitale.
Le 16 mai 1871, soit quelques jours avant la « semaine sanglante » et sa litanie de morts et d’incendies criminels, le monument est abattu par la Commune de Paris. Cet acte iconoclaste n’a rien d’un coup de tête ; le sort de la colonne échauffe les esprits dès la chute du Second Empire. Depuis la défaite contre la Prusse, ce symbole de la gloire de Napoléon Ier, oncle de l’empereur déchu et honni, est un emblème insupportable pour nombre de Français. Le 14 septembre 1870, la République à peine proclamée, Gustave Courbet adresse ainsi une requête au gouvernement de Défense nationale. Le peintre, promu président de la Fédération des artistes, suggère que l’on déboulonne l’édifice incriminé pour le remonter dans la cour des Invalides. Sa requête demeure lettre morte mais sera lourde de conséquences. Le père du réalisme, qui n’est élu membre du Conseil de la Commune que le 16 avril 1871, soit quatre jours après la décision de la démolition du monument, sera considéré comme le principal artisan de cette destruction.
La colonne abattue comme un arbre
Le 12 avril, le décret tombe comme un couperet. La Commune décide de renverser ce qu’elle décrit comme « un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus ». L’événement est initialement prévu le 5 mai, jour du cinquantenaire de la mort de Napoléon Ier. À cause de la poussée des forces versaillaises, la cérémonie est reportée au 16 mai, où elle est organisée comme une grande fête. Au son des hymnes joués par la Garde nationale, c’est une foule nourrie, agglomérée sur la place ou penchée aux fenêtres, qui assiste au spectacle. Étrangement c’est à Georges Cavalier que l’on a confié l’honneur de mener l’opération. Le directeur des jardins de la Ville procède donc comme pour l’abattage d’un arbre. Sous sa direction, les ouvriers scient le fût de la colonne à sa base puis la tirent avec des câbles. Le monument vacille, bascule et se brise sur un lit de branchages et de fumier. Un matelas déshonorant, placé tant pour amortir le fracas de la chute que pour souiller l’effigie impériale. La statue de Napoléon à l’antique qui la couronnait est décapitée et sa tête conservée en guise de trophée. L’assistance se précipite pour ramasser des fragments de plaques de bronze, mais la Garde protège ces reliefs qui sont destinés à être fondus à la Monnaie.
Courbet, qui n’a pas pris part au saccage, en est cependant perçu comme l’instigateur. Il est arrêté et condamné à six mois de prison, 500 francs d’amende et 6 850 francs de frais de procédure. Une punition somme toute clémente au regard de la multitude de peines de mort et de déportation prononcées à l’encontre d’autres Fédérés. L’artiste subit toutefois des sanctions plus insidieuses ; il sera méthodiquement écarté de la vie culturelle et victime d’une campagne de dénigrement. Une avalanche de caricatures et de portraits-charges le dépeignent en colonnard, un personnage vulgaire et hirsute portant la colonne sur ses épaules ou paradant sur son fût cassé. C’est dans ce climat fielleux que sa sentence est revue à la hausse en 1873. Alors que l’on décide de relever la colonne, il est condamné à supporter seul le coût de la réédification. Il doit s’acquitter d’une somme de 323 091 francs à raison de 33 annuités de 10 000 francs, payables à compter du 1er janvier 1878. Courbet s’éteint en exil en Suisse la veille du premier versement.
La colonne, elle, est reconstruite entre 1873 et 1875. Presque tous les fragments ont été récupérés et replacés dans cet immense puzzle. Certaines pièces étant en mauvais état, une patine sombre avait été appliquée pour unifier l’ensemble. Cette couche de maquillage, obscurcie par le temps et la pollution, avait rendu difficilement lisibles les motifs de la colonne. La restauration qui vient de s’achever, la première depuis sa reconstruction, a permis de faire réapparaître la finesse de ces détails et de rendre au bronze ses nuances de vert. Désormais resplendissante, elle trône dans un calme olympien qui ne laisse pas deviner son histoire mouvementée.
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16 mai 1871, la Commune de Paris détruit la colonne Vendôme
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Abonnez-vous dès 1 €François-Marie-Louis-Alexandre Gobinet de Villecholles, Place Vendôme, 1871, tirage sur papier albuminé, 27 x 20,5 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. © Met Museum.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : 16 mai 1871, la Commune de Paris détruit la colonne Vendôme