Le parcours explore l'influence de l'éloignement sur la création, sans trop investir l'actualité.
Lens (Pas-de-Calais). En 1873, Gustave Courbet est contraint de quitter la France, condamné à une amende qu’il ne peut payer pour sa participation aux évènements de la Commune. C’est en Suisse, sur les bords du lac Léman, qu’il trouve refuge, et passe les dernières années de sa vie sans revoir ni Paris, ni son Jura bien-aimé. D’ultimes moments partagés entre une activité artistique intense et un déchirement, qui inspirent à Dominique de Font-Réaulx, spécialiste du XIXe siècle et de Courbet, cette question : « Qu’est-ce que l’exil fait à la création ? »
Dans les vastes espaces d’expositions temporaires du Louvre-Lens, l’historienne de l’art déploie une réponse en cinq séquences, organisée par une scénographie en forme de croisée des chemins. Après une longue partie introductive consacrée aux exils dans les mythes fondateurs (notamment le Déluge biblique, mais également des évocations du Coran, du Ramayana hindou ou des textes homériques), le visiteur débouche sur une rotonde qui l’amène à explorer les notions d’accueil, de déchirements, ou de mémoires de l’exil, sans sens de visite imposé.
Cette scénographie appuie la sensation d’une promenade dans l’histoire de l’art à l’aune de l’exil, plutôt que celle d’une véritable démonstration, d’une « exposition à thèse ». Dominique de Font-Réaulx prend d’ailleurs soin de le signaler : « C’est une exposition poétique, pas un parcours d’actualité ». Les allers-retours entre œuvres contemporaines et œuvres classiques, élégamment mis en scènes, affirment en creux l’existence d’une forme de compagnonnage entre exils et création qui traverse l’histoire.
Le questionnement de l’exposition, sur l’influence de l’exil sur la création, est bien tenu, et s’éloigne d’ailleurs volontairement d’une étude de la figure de l’exilé : le Juif errant, Napoléon en exil à Saint-Hélène, et autres représentations évidentes de l’exilé en histoire de l’art ne font pas ici l’objet d’un décorticage iconographique. En revanche, devant une représentation du château suisse de Chillon par Courbet, le visiteur est invité à déceler une mélancolie propre aux exilés qui doutent de pouvoir, un jour, retrouver leur terre.
De manière plus évidente, cette mélancolie prend la forme d’un désespoir devant Voici mon cœur, la maquette d’une ville détruite par l’artiste syrien réfugié en France Khaled Dawwa, celle d’une colère face aux tampons de visa gigantesques sculptés dans le bois par Barthélémy Toguo, ou d’un espoir que laisse transparaître les toiles des préraphaélites Ford Madox Brown et Richard Redgrave, représentant un dernier coup d’œil au pays natal avant le grand départ.
Au fil du parcours, certaines images réapparaissent, comme celle du frêle esquif perdu en mer, qu’elle soit gravée par Victor Hugo, déployée sur les grands formats de Yan Pei-Ming ou la petite Évasion de Rochefort de Manet, ou même photographiée par l’artiste égyptien Youssef Nabil. L’exposition amorce également une réflexion intéressante sur les représentations récentes de l’exil, arrivant tardivement dans le parcours, à travers les images de la « jungle » de Calais ou des camps de réfugiés parisiens des photographes Mathieu Pernot et Bruno Serralongue, s’interrogeant sur le tiraillement entre l’objectif documentaire et leur inscription dans un imaginaire collectif.
C’est dans cette partie que l’exposition gagne une profondeur historique, en évoquant la création du statut de réfugié à la fin du XIXe siècle. La manifestation plastique de ce statut va de pair avec un nouveau lieu, le camp, incarné ici par les très belles feuilles d’Antoni Clavé réalisées lorsqu’il se trouve au camp des haras de Perpignan après la guerre civile espagnole.
Cette fin de parcours contraste avec un propos trop général dans les sections précédentes, et une forme de distance avec l’actualité brûlante du sujet, à laquelle il est pourtant difficile d’échapper. La présentation d’aquarelles d’Henri Michaux, pour évoquer « l’exil intérieur », semble ainsi quelque peu maladroite, à quelques mètres de l’évocation d’exils, eux, bien réels. L’approche poétique défendue ici offre un voyage artistique agréable, dessinant des pistes de réflexion, mais un peu trop tranquille au regard du sujet qu’il se propose de traiter.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Le Louvre-Lens pose des images un peu édulcorées sur le thème de l'exil