Art moderne

XIXE SIÈCLE / VISITE GUIDÉE

Ornans enquête sur la jeunesse de Courbet

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 20 février 2025 - 876 mots

L’intérêt de l’exposition réside dans la découverte de ses premiers maîtres et dans la démonstration du travail accompli pour parvenir à son premier Salon.

Gustave Courbet (1819-1877), Autoportrait dit Courbet au chien noir, entre 1842 et 1844, huile sur toile, 46 x 55 cm, Paris, Petit Palais. © CC0 Paris Musées
Gustave Courbet (1819-1877), Autoportrait dit Courbet au chien noir, entre 1842 et 1844, huile sur toile, 46 x 55 cm, Paris, Petit Palais.
© Paris Musées

Ornans (Doubs). Taille 1,77 m, nez ordinaire, barbe naissante, yeux noisette : c’est le portrait qui se dégage du passeport intérieur de Gustave Courbet (1819-1877) « allant à Paris », renseigné le 5 novembre 1839. À la ligne de la profession, il est écrit « de peintre ». Ce document, découvert par un chercheur bénévole de l’Institut Gustave-Courbet, est l’une des trouvailles qui justifient l’exposition consacrée à la jeunesse de l’artiste. Jusqu’ici, la doxa, construite par Courbet lui-même, était qu’il avait déménagé à Paris pour y étudier le droit, conformément aux exigences de ses parents. Or, Gustave étant mineur, son père a contresigné le passeport, entérinant ainsi le choix de profession qu’avait fait son fils.

« Voici déjà longtemps qu’on me fait perdre mon temps »

Impulsée par l’Institut Courbet, auquel appartient l’une des commissaires scientifiques, Carine Joly – l’autre étant Bruno Mottin, conservateur honoraire du patrimoine au C2RMF –, cette exposition a pour commissaire général Benjamin Foudral, le directeur et conservateur du Musée et Pôle Courbet. Ce dernier l’avoue : jusqu’à présent, il racontait lui aussi la fable des études de droit. Mais un peu plus de 70 œuvres et documents viennent préciser la biographie et l’évolution artistique de Gustave Courbet, de son enfance à sa première participation au Salon, en 1844.

Chronologique, le parcours se termine « là où commençait la grande rétrospective du Grand Palais, en 2007, avec les autoportraits de jeunesse ». Autant dire qu’il ne s’agit pas de l’une de ces expositions où les cartels sont réduits au minimum pour laisser le champ libre à la délectation. Le visiteur évolue dans un livre illustré racontant les premières années d’un génie et assiste à une enquête dans laquelle chaque indice compte. Ce n’est d’ailleurs qu’un rapport d’étape, insiste Benjamin Foudral : la découverte d’un nouveau document, d’une œuvre inconnue peut encore changer le point de vue.

Tout commence donc à Ornans. Au petit séminaire, puis dans une école cofondée par un oncle, l’abbé Oudot, Gustave apprend à dessiner et peindre auprès de Claude Antoine Beau, un artiste local dont Vue d’Ornans (la leçon de peinture) [entre 1836 et 1840] témoigne de sa pratique de la peinture en plein air. Cette enfance en apparence heureuse prend fin lorsque l’adolescent est scolarisé au collège royal de Besançon. Il écrit à ses parents, leur confiant son mal-être, ne supportant ni l’internat ni l’enseignement qu’il reçoit. Le 9 décembre 1837, il les prévient : « Je déserte, voici déjà assez longtemps qu’on me fait perdre mon temps en me traînant en longueur. » Il obtient de vivre en ville et ne se plaît qu’aux cours de dessin de Charles Antoine Flajoulot, au collège royal, et à l’école gratuite de dessin de Besançon fondée par Laurent Bruno François Jourdain. De 1837 datent de petits paysages à l’huile sur papier de la région d’Ornans, inspirés de Beau. Ils sont charmants mais rien ne permet d’y détecter le génie qu’il deviendra.

La suite pourrait s’intituler « À nous deux Paris ». Courbet y retrouve des amis arrivés avant ou en même temps que lui. Le cousin Oudot, professeur de droit à l’université de Paris, le présente aux cercles francs-comtois et l’invite aux grands dîners qu’il organise. Le bégaiement de l’enfance, dont a témoigné l’ami Max Buchon, disparaît comme par enchantement. Le soir, le jeune homme sort dans le beau monde ; le jour, il rattrape son retard en peinture. Refusant tout enseignement, il hante les ateliers libres où posent des modèles nus et copie les maîtres, au Louvre et au musée du Luxembourg. Ce travail est montré par la juxtaposition du Christ au roseau dit aussi Ecce Homo (deuxième quart du XVIIe siècle) de Guido Reni, prêté par le Louvre, et de deux copies réalisées vers 1840 par Courbet. Au Luxembourg sont conservées les œuvres contemporaines. Dans son dessin La Pauvresse dit aussi Jeune fille assise (vers 1840), le paysage urbain est tiré de Scène de la Saint-Barthélemy (1833) de Robert-Fleury, qui y est exposé. Courbet est fidèle au romantisme et au style troubadour du temps qui lui inspirent les faibles Passage du gué (vers 1843) et Promenade en bateau (vers 1841-1842), une grande huile conservée aux États-Unis.

Le passage du romantisme au réalisme

Après avoir beaucoup tâtonné pour se faire admettre au Salon, c’est par l’autoportrait qu’il rentrera dans ce saint des saints. Le maître de l’un de ses amis, Nicolas Auguste Hesse, qui s’est attaché à lui et lui rend visite dans son atelier, y découvre une première version d’Autoportrait dit aussi Courbet au chien noir (entre 1842 et 1844, [voir ill.]) et lui conseille de la soumettre au jury. À l’exception du Désespéré (vers 1844), tous les autoportraits de jeunesse sont réunis dans la dernière salle du parcours. Alors qu’on s’étonne que le peintre, parfois si maladroit seulement quelques mois auparavant, ait pu réaliser des œuvres aussi fortes, les radiographies présentées à leurs côtés et l’analyse de Bruno Mottin dans le catalogue montrent qu’il s’agit pour la plupart de tableaux élaborés sur une longue période, parfois antidatés par Courbet. Ils témoignent du passage de l’artiste du romantisme au réalisme en même temps que de sa sortie de la chrysalide vers une carrière hors norme.

Devenir Courbet,
jusqu’au 20 avril, Musée Courbet, 1, place Robert-Fernier, 25290 Ornans.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°649 du 14 février 2025, avec le titre suivant : Ornans enquête sur la jeunesse de Courbet

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