Espagne - Histoire - Musée

Pourquoi n’existe-t-il pas de musée de la guerre civile en Espagne ?

Par Julie Goy, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2022 - 974 mots

ESPAGNE

Depuis 85 ans, les Espagnols ne parviennent pas à s’entendre sur la manière de restituer la mémoire du conflit.

La page d'accueil du site du Virtual Museum of the Spanish Civil War.
La page d'accueil du site du Virtual Museum of the Spanish Civil War.

Espagne. La guerre civile espagnole (1936-1939) est le conflit ayant le plus affecté l’Espagne au cours du siècle dernier. Pourtant, il n’existe aujourd’hui que de petits musées mémoriels consacrés aux batailles locales. Face à des désaccords permanents au sein des gouvernements successifs, aucun musée ne traite du souvenir de la guerre de manière générale.

Sous le régime de Franco, une censure très stricte avait été mise en place au sujet de la guerre civile, qui a opposé républicains de gauche et nationalistes de droite. Un silence général s’est répandu dans l’opinion publique, qui ne s’est rompu qu’à l’établissement de la nouvelle démocratie en 1975. Il a ensuite fallu attendre 2007, pour qu’une loi sur la mémoire historique reconnaisse les victimes de la guerre civile et de la répression franquiste.

Depuis, plusieurs lois mémorielles ont vu le jour, proposées par les partis de gauche, dans un « effort permanent pour connaître, étudier et diffuser les événements historiques qui se sont produits avant, pendant et après la guerre civile espagnole », explique le ministère de la Culture espagnol au Journal des Arts. Néanmoins, le contenu de ces lois mémorielles divise au sein du gouvernement, suscitant de vives oppositions des partis de droite et d’extrême droite. Une nouvelle loi sur la mémoire démocratique, proposée par le parti socialiste, a été approuvée le 19 octobre dernier, prévoyant que « les éléments attachés aux édifices publics ou situés sur la voie publique » qui exaltent la guerre civile et le point de vue franquiste soient retirés. Le parti Vox d’extrême droite a aussitôt réagi en appelant à un boycott de cette loi, demandant l’inscription comme « biens d’intérêts culturels » de tous les édifices, constructions, croix, plaques, insignes et parties d’édifices qui commémorent la guerre civile et la dictature.

Un premier musée prévu pour 2025

Dans ce contexte d’oppositions politiques continues, aucun projet de musée n’a jamais été officiellement annoncé par le gouvernement. Pourtant il en existe un, qui a vu le jour discrètement en 2006 dans la ville de Turuel, avant d’être abandonné en 2008 au décès de son fondateur, l’historien Gabriel Cordona, pour finalement être ravivé en 2018. Un décret avait alors été adopté, évoquant un « Musée national de la guerre civile espagnole » qui viserait à « réfléchir et approfondir l’influence de cette guerre sur l’histoire contemporaine de l’Espagne et en Europe, dans tous ses aspects, pas seulement militaires, mais aussi culturels et dans les sociétés ». Aujourd’hui, la création de ce dernier « est à l’arrêt en raison des procédures administratives de construction de l’édifice et de la proximité des élections régionales, notamment celles de la Région d’Aragon, à l’origine du décret », précise Javier Paniagua, professeur de science politique et sociale, qui dirige la commission académique consacrée à l’élaboration dudit musée. S’il voit finalement le jour, le musée devrait ouvrir ses portes d’ici 2025.

Le professeur explique que l’absence d’accord au sein du gouvernement sur la présentation des valeurs prédominantes de la société, essentielle pour éviter la confrontation entre différentes mémoires concomitantes à un même événement, demeure l’obstacle principal pour la création d’un musée. « Les représentants de droite pensent dans l’ensemble qu’un musée fait par une administration socialiste – celle de la Communauté d’Aragon – ne ferait pas une interprétation objective de l’histoire », explique-t-il. Javier Paniagua a été député du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) entre 1986 et 2000, et si le parti socialiste le voit comme la personnalité idéale pour être le conservateur du « Musée national de la guerre civile espagnole », ce n’est pas le cas de tous les membres du gouvernement. « Il y a une difficulté particulière sur le sujet des musées mémoriels portant sur des guerres civiles. La tendance est à la promotion de la grandeur de la nation ou bien de la souffrance de la nation », explique Javier Paniagua. « Il y a beaucoup de discussions entre spécialistes, mais pas de consensus politique : les partis sont tellement divisés sur la question qu’ils ne peuvent s’accorder sur aucun aspect de l’histoire. L’opinion publique est aussi très divisée », précise-t-il.

Un musée virtuel  

Internet. Malgré les désaccords politiques, un musée d’un genre nouveau consacré à la guerre civile espagnole a néanmoins pu voir le jour en septembre dernier. Il est virtuel, et il n’est pas espagnol : le Virtual Museum of the Spanish Civil War (www.vscw.ca) est accessible sur Internet. Créé par une équipe internationale d’historiens, archéologues, experts en sciences humaines et d’universitaires, il vise à pallier cette absence de musée physique. « On travaille sur ce projet depuis des années, l’idée est venue de créer un musée de la guerre civile espagnole car il n’y en avait pas », explique Adrian Shubert, codirecteur du musée virtuel et professeur d’histoire à l’université canadienne de York. Le ministère de la Culture espagnol a également aidé à la création du site, en confiant des documents issus des Archives générales de l’administration et du Centre documentaire de la mémoire historique aux chercheurs. Ce musée virtuel se compose de cinq galeries à visiter, présentant cinq grands thèmes : le début de la guerre et le déroulement du conflit, le contexte international, les fronts intérieurs, la vie quotidienne sur le front et la mémoire historique. Des archives photographiques de lieux, d’œuvres, de cartes géographiques, d’armes et autres objets relatifs à la guerre civile espagnole sont présentées, chacune d’elles étant accompagnée d’un article explicatif. Version plus ludique et interactive de la base données, le musée virtuel vise à rendre les nombreuses archives accessibles à tous. « La guerre civile était très complexe, c’est difficile de la résumer en seulement deux camps adverses », explique Adrian Shubert. « Nous voulons être aussi objectifs que possible. Les souffrances sont les mêmes, mais pas les causes : certains défendaient la démocratie, d’autres pas », ajoute Antonio Cazorla-Sánchez, codirecteur du musée et professeur d’histoire à l’université de Trent, au Canada.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Pourquoi n’existe-t-il pas de musée de la guerre civile en Espagne ?

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