Église - Patrimoine

Notre-Dame : histoire d’une résurrection

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2024 - 1370 mots

Événement tragique au retentissement mondial, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris fut au point de départ d’une aventure patrimoniale inédite, teintée d’enjeux politiques. Chronologie d’un pari tenu en cinq ans.

Les travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris en février 2024. © Ludovic Sanejouand
Les travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris en février 2024.
© Ludovic Sanejouand
15 avril 2019 • Un incendie aussitôt suivi d’une promesse

À 18 h 50, un panache de fumée s’échappe de la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris. À la tombée de la nuit, c’est un brasier qui enflamme le ciel de l’île de la Cité, et une heure après le début de l’incendie, la flèche de la cathédrale s’effondre, emportant avec elle une travée de la nef. À 23 heures, la croisée du transept n’est plus qu’un trou béant. C’est seulement au milieu de la matinée du lendemain que les pompiers, qui ont combattu les flammes toute la nuit, pourront le déclarer éteint. Quelques heures à peine après l’incendie, le président de la République prend un engagement : la cathédrale sera reconstruite dans un délai de cinq ans. L’enquête menée par le parquet de Paris pour connaître les causes de l’incendie aura accompagné le chantier durant ces cinq années, et livrera bientôt ses résultats sous la forme d’une modélisation 3D de la catastrophe. La piste d’un incendie volontaire est formellement écartée.

Incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 15 avril 2020 - Photo courtesy World Monuments Fund
Incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019
24 avril 2019 • Un projet de loi pour encadrer la générosité

100 millions d’euros promis par François Pinault, puis 200 millions par Bernard Arnault, autant par la famille Bettencourt : au lendemain de l’incendie, la réaction de certaines grandes fortunes françaises est immédiate pour sauver la cathédrale incendiée, et une compétition philanthropique s’installe, entraînant dans son sillage une vague de dons petits ou grands. Multinationales et PME, particuliers et collectivités territoriales, les donateurs français et étrangers affluent, et trois jours après la catastrophe, la presse annonce déjà une promesse de dons totale de 850 millions d’euros. Dès le 24 avril, un projet de loi est déposé pour ouvrir une souscription nationale. Avec son adoption le 29 juillet, l’intégralité des sommes promises pourra être convertie en dons bien réels.

9 juillet 2020 • Emmanuel Macron tranche pour une reconstruction à l’identique

Les débris de la charpente encore fumants, les propositions fusent déjà pour reconstruire la cathédrale. Les architectes Norman Foster, Jean-Michel Wilmotte ou l’artiste flamand Wim Delvoye offrent leurs services pour concevoir une réinterprétation moderne des éléments disparus dans l’incendie. Emmanuel Macron entrouvre lui aussi la possibilité d’un « geste architectural » lors d’une allocution. Une année durant, le débat anime le milieu de l’architecture et du patrimoine, suspendu à la promesse du Premier ministre, Édouard Philippe, de lancer un concours d’architecture. À ceux qui rêvent d’une toiture vitrée pour Notre-Dame, à l’instar de l’agence Godart + Roussel, s’opposent les défenseurs d’une reconstruction à l’identique, qui comptent dans leurs rangs Jean Nouvel, Valode & Pistre, et surtout l’architecte en chef des Monuments historiques chargé de la restauration de la cathédrale, Philippe Villeneuve. C’est le président de la République qui tranche, au mois de juillet, à l’issue d’une réunion de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture : Notre-Dame retrouvera la flèche de Viollet-le-Duc et sa charpente du XIIIe siècle, reconstruites à l’identique.

24 novembre 2020 • L’échafaudage sinistré est déposé

200 tonnes d’acier, 40 000 pièces différentes, le tout perché à 40 mètres de haut… L’impressionnante structure édifiée en 2018 pour restaurer la flèche est devenu une forêt de métal fondu, tenant miraculeusement au-dessus de la croisée du transept. Pour démonter cet échafaudage hors norme, il faut faire appel au double d’ingéniosité qu’aura nécessité son élévation : scanné, scruté dans ses moindres mouvements, le géant est désossé pièce par pièce huit mois durant. Un an et demi après l’incendie, la cathédrale est enfin débarrassée de son étrange couronne, ouvrant la voie au diagnostic des voûtes endommagées et au chantier de sécurisation, qui s’achèvera un an plus tard, en septembre 2021.

Des ouvriers sur le chantier de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, le 27 avril 2019 © Photo Ludovic Sanejouand
Des ouvriers sur le chantier de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, le 27 avril 2019
© Photo Ludovic Sanejouand
17 mars 2021 • Le tri des décombres s’achève sur le parvis

Que faire des déblais calcinés d’une cathédrale du XIIIe siècle ? Pour répondre à cette question, le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) et le service régional de l’archéologie unissent leurs forces et mettent en place un protocole. Durant un an et demi, les professionnels du patrimoine – secondés par leurs collègues de l’Inrap et du C2RMF – vont voir passer sur leur table, installée sur le parvis de la cathédrale, tous les débris produits par l’incendie. Bois, pierre, métal, les éléments déblayés dans l’édifice sont patiemment triés, photographiés et inventoriés. Ils constituent aujourd’hui une matériauthèque unique au monde, conservée par la Drac (direction régionale des Affaires culturelles) Île-de-France, et un objet d’étude inespéré pour le chantier scientifique mené par le ministère de la Culture sur la cathédrale.

Installation d’une loge de taille de pierre sur le parvis de la cathédrale pour la restauration des sculptures figuratives ou décoratives, été 2022. © David Bordes / Etablissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris
Installation d’une loge de taille de pierre sur le parvis de la cathédrale pour la restauration des sculptures figuratives ou décoratives, été 2022.
© David Bordes / Etablissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris
25 mars 2022 • Les fouilles prolongées pour dévoiler le jubé

L’ampleur des découvertes mises au jour par les archéologues de l’Inrap à la croisée du transept n’a toujours pas, en 2024, été réellement appréhendée par le grand public. Mais alors que les truelles s’activent encore pour mettre au jour les fragments du jubé du XIIIe siècle, l’établissement public chargé de la restauration demande l’arrêt des fouilles, au motif qu’elles retardent la pose des échafaudages. Il faudra l’intervention de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture, pour que les archéologues obtiennent un sursis de quelques semaines pour dégager les vestiges d’un Moyen Âge en couleurs. Sans cela, le trésor artistique et archéologique que sont les vestiges du jubé, dévoilé en 2024 au Musée de Cluny, serait resté enfoui quelques siècles encore.

Jubé : Tête en cours de dégagement. Fouilles de la croisée du transept de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. © Denis Gliksman, Inrap
Jubé : Tête en cours de dégagement. Fouilles de la croisée du transept de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.
© Denis Gliksman / Inrap
18 août 2023 • Décès du général Jean-Louis Georgelin

Sur le chantier, dans les médias ou dans les salons de l’Élysée, le général Jean-Louis Georgelin incarnait le pari audacieux d’une reconstruction de la cathédrale en cinq ans depuis que le président lui avait confié cette mission, deux jours après l’incendie. Aussi, son décès accidentel lors d’une randonnée estivale dans les Pyrénées est un choc : malgré le scepticisme général qui accompagne sa nomination à la tête de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, le militaire s’est révélé être un maître d’ouvrage efficace, maniant un franc-parler, une autorité parfois surjouée et une « science des hommes », comme il est dit souvent, nécessaire pour mener la dernière campagne de sa carrière. Philippe Villeneuve se dira d’ailleurs « un peu perdu » après la disparition du général, celui-là même qui lui intimait pourtant , en 2019, de « fermer sa gueule ». Son bras droit, Philippe Jost, prend alors les rênes du chantier.

Le général Jean-Louis Georgelin visitant le chantier de recontruction de Notre-Dame de Paris, en compagnie d'Emmanuel Macron et de Rima Abdul Malak. © Présidence de la République
Le général Jean-Louis Georgelin visitant le chantier de recontruction de Notre-Dame de Paris, en compagnie d'Emmanuel Macron et de Rima Abdul Malak.
© Présidence de la République.
16 décembre 2023 • Le coq retrouve sa place en haut de la flèche

Quelques heures après l’incendie, la photo avait fait le tour des réseaux sociaux : Philippe Villeneuve, mi-hagard, mi-soulagé, serrant contre lui le coq de la flèche, miraculeusement retrouvé dans les décombres. Quatre ans plus tard, l’architecte en chef accompagne le gallinacé (ou plutôt sa reproduction) en haut de son nouveau perchoir. Une étape qui marque la dernière ligne droite d’un chantier de restauration mené à toute vitesse, enjambant les obstacles du Covid-19 et du plomb, adaptant la méthodologie des restaurateurs du patrimoine à l’échéance présidentielle. Chaque avancée rapproche un peu plus la cathédrale de sa réouverture : les dernières pierres fermant la brèche de la voûte en avril 2023, la charpente est achevée en janvier 2024, la flèche débarrassée de son échafaudage apparaît en février de la même année, et le nettoyage des pierres se poursuit à l’intérieur… Au mois d’avril 2024, Philippe Jost peut souffler : délai et budget seront bel et bien tenus.

La Cathédrale Notre-Dame de Paris en février 2024. © Ludovic Sanejouand
La Cathédrale Notre-Dame de Paris en février 2024.
© Ludovic Sanejouand
7 décembre 2024 • Notre-Dame reçoit ses premiers visiteurs

Enfin, 2 063 jours après l’incendie de la cathédrale, le public peut découvrir le résultat d’un chantier dont les images seront restées secrètes jusqu’à l’ouverture des portes. Le diocèse s’arme de 500 bénévoles pour accueillir les quelque 40 000 visiteurs quotidiens attendus, et la sécurité qui entoure la messe du 8 décembre, à laquelle a assisté le président, est celle d’un événement planétaire. Le président de la République remporte sa course contre la montre, mais le chantier permanent qu’est Notre-Dame est loin d’être terminé, car 2025 sera l’année de la rénovation extérieure de la cathédrale. La question des vitraux modernes, celle de l’accès et de la gestion touristique du site, les relations tendues entre l’établissement public et le diocèse : Notre-Dame de Paris n’a pas fini d’apporter son lot de dilemmes et polémiques.

Le baptistère conçu par Guillaume Bardet. © Julio Piatti / Cathédrale Notre-Dame de Paris
Le baptistère conçu par Guillaume Bardet.
© Julio Piatti / Cathédrale Notre-Dame de Paris

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : Notre-Dame : histoire d’une résurrection

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