Bilan

RÉTROSPECTIVE 2024

2024, Les temps forts

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2024 - 2837 mots

Les catastrophes climatiques, les guerres dans le monde, la vague populiste planétaire, l’instabilité politique en France sont montées d’un cran en 2024. La culture reste un îlot de « normalité ».

La situation internationale ne cesse de se tendre, au point que l’on pourrait en arriver à regretter les années « Covid » où tout était suspendu. En dépit des millions de morts dus à la pandémie, la planète avait à l’époque un peu repris son souffle du fait du ralentissement des déplacements et des activités économiques. En 2024, la culture n’est plus confinée mais elle reste un peu protégée dans son cocon, particulièrement en France et plus encore dans le domaine patrimonial.

Annoncés comme un cauchemar, les Jeux olympiques de Paris ont constitué une parenthèse enchantée entre dissolution et motion de censure. La réouverture du Grand Palais a permis à l’édifice construit pour l’Expo universelle de 1900 de briller de tous ses feux pour les épreuves des JO puis de fournir un bel écrin aux salons d’art qui l’ont investi.

Mais ce n’est rien à côté de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dernier temps fort de l’année auquel le Journal des Arts consacre un dossier, et qui a bénéficié d’une couverture médiatique et d’une attention internationale à la mesure de la catastrophe de l’incendie de 2019. Même Donald Trump, le nouveau président des États-Unis, était présent.

Au fond, c’est plus le marché de l’art qui semble affecté par les tensions dans le monde et le ralentissement économique en Europe.

12 janvier • Rachida Dati nouvelle ministre de la Culture, aujourd’hui en sursis

Paris. Cela paraît loin tant les événements politiques se sont succédé rapidement cette année. Quelques jours après la nomination surprise de Gabriel Attal à Matignon, Emmanuel Macron appelle l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy et installe Rue de Valois cette figure connue des Français. Opération réussie puisque par son style, son franc-parler et les territoires de communication qu’elle investit (les zones rurales, le patrimoine…), Rachida Dati entre alors dans le classement de tête des ministres appréciés. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale en juin a radicalement changé le climat politique en France. En septembre, la ministre fait partie de l’éphémère gouvernement de Michel Barnier dans une alliance fragile entre macronistes et LR (Les Républicains). Elle sait habilement masquer la baisse de son budget en 2024, et probablement en 2025, par des prises de position un brin populistes qui font parler d’elle dans les médias et servent sa précampagne pour les municipales à Paris : tarification différenciée pour les visiteurs étrangers dans les musées nationaux, droit d’entrée à la cathédrale Notre-Dame, intérêt pour un « musée du cinéma »… Elle multiplie les annonces et comités pour tenter de sauver le Pass culture cher à Emmanuel Macron. La demande de renvoi en correctionnelle par le Parquet national financier dans le cadre de l’affaire Carlos Ghosn ne semble pas l’ébranler. Il n’est pas sûr, pourtant, qu’elle fasse partie cette fois du nouveau gouvernement qui devrait succéder à celui de Michel Barnier.

Jean-Christophe Castelain
28 janvier • « La Joconde » à nouveau aspergée

Paris. Pour dénoncer l’inaction climatique, deux activistes du mouvement Riposte alimentaire ont jeté de la soupe au Louvre sur la vitre blindée de La Joconde, qui avait déjà été victime de tels agissements par le passé. Un acte de vandalisme loin d’être isolé, puisque les attaques des militants écologistes ciblant les chefs-d’œuvre des musées se sont multipliées en 2024. Moins de deux semaines plus tard, Riposte alimentaire a cette fois-ci aspergé le caisson vitré du Printemps de Monet au Musée des beaux-arts de Lyon, puis, le 1er juin, collé une affiche sur la vitre des Coquelicots conservés au Musée d’Orsay. Ces actions n’ont donné lieu qu’à des sanctions légères contre les activistes concernés, même si le Code pénal prévoit des peines de prison ferme à leur encontre. Au cours de l’année, un net durcissement judiciaire vis-à-vis de l’activisme écologique a toutefois été observé à l’international, en particulier en Italie et au Royaume-Uni. En septembre, une peine carcérale a été prononcée à Londres : deux militantes de Just Stop Oil ont écopé de deux ans de prison ferme pour l’une, un an et huit mois pour l’autre, pour avoir aspergé Les Tournesols de Van Gogh à la National Gallery de Londres en 2022. Une condamnation qui a jeté de l’huile sur le feu puisque, en geste de protestation, d’autres activistes du mouvement ont de nouveau arrosé de jus de tomate ce tableau et un deuxième de la même série, et ce quelques mois après avoir recouvert de peinture orange les monolithes de Stonehenge en Angleterre.

Marion Krauze
2 février • La Fondation Bemberg, première d’une série d’ouvertures de musées

France. Un grand nombre de musées ont été inaugurés ou ont rouvert leurs portes en 2024. La Fondation Bemberg, à Toulouse, a ouvert le bal avec brio en dévoilant une impressionnante refonte muséographique qui lui a valu d’être récompensée du prix Apollo 2024, décerné à la plus belle réouverture de musée à l’international. En avril, c’est le Musée d’art moderne de Troyes (Aube) qui prend un tournant plus muséal en dépoussiérant son image de maison de collectionneurs, puis le Musée d’art religieux de Fourvière (Lyon) rouvre avec un parcours de visite repensé.

En mai, la rénovation du Musée Marcel-Proust à Illiers-Combray (Eure-et-Loir) a aussi pris fin, tout comme celle du Musée Dobrée. Le musée nantais s’est doté d’une scénographie particulièrement réussie, qui lui confère une atmosphère d’autant plus accueillante. À Paris, deux chantiers se sont achevés avec l’inauguration de la Maison Élysée en juillet – un musée-boutique conçu à l’image de la demeure présidentielle –, et la réouverture du Musée Jacquemart-André en septembre. L’écrin des maîtres italiens a retrouvé son atmosphère d’antan, avec une cour rénovée. Dans les Yvelines, Chatou a inauguré un Musée d’art et de culture soufis, le premier au monde dévolu à cette branche mystique de l’islam, tandis qu’en novembre le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole a fini de reconfigurer ses espaces avant une extension future. Enfin, le Musée Matisse du Cateau-Cambrésis (Nord) vient de rouvrir au public, remis à neuf et agrandi, clôturant en beauté cette année riche en inaugurations.

Marion Krauze
13 mars • Les Vingt-Sept adoptent le premier réglement sur l’IA

Europe. Avec le lancement en novembre 2022 de la première version de ChatGPT, un « modèle de langage conversationnel » comme il se définit lui-même, l’intelligence artificielle (IA) dispose d’un visage grand public. Mais la Silicon Valley travaille depuis plusieurs années sur l’IA, incitant dès avril 2021 l’Union européenne (UE) à réfléchir à un premier texte de régulation. C’est chose faite en février 2024 avec l’adoption à l’unanimité des Vingt-Sept d’un règlement majeur définissant des interdictions en fonction des risques. Ainsi le texte, dénommé « IA Act », proscrit l’utilisation de l’IA pour noter les habitants d’un pays par exemple, mais est moins contraignant sur l’utilisation des IA génératives du type ChatGPT. Ici l’enjeu repose sur l’utilisation des données qui servent à entraîner les modèles. L’IA Act va obliger les entreprises à documenter cette utilisation. Plusieurs journaux ont entamé des poursuites en justice contre les Gafam pour utilisation d’extraits de leurs contenus, tandis qu’en France l’ADAGP, à la suite d’autres organismes de gestion collective de droits d’auteur, commence à élever des barrières pour protéger à l’avenir les œuvres de leurs adhérents.

Les Gafam mènent un lobbying intense pour tenter de limiter les conséquences de l’IA Act (et du « Digital Markets Act », un autre texte sur les marchés numériques adopté par l’UE en septembre 2022). Donald Trump va-t-il les écouter et faire pression sur l’UE pour qu’elle revienne sur cette législation ? Ce texte, porté par 27 pays, a en tout cas plus de chances de survivre à Trump que s’il était voté et mis en œuvre par la France seule.

Jean-Christophe Castelain
28 mars • Nicholas Cullinan nommé à la tête du British Museum

Londres, et France. Le directeur de la National Portrait Gallery à Londres, Nicolas Sullivan, est annoncé au British Museum, une institution dans la tempête après la découverte de vols importants au sein des réserves. En France, Catherine Pégard, en intérim prolongé au Château de Versailles, cède sa place (en février) à Christophe Leribault, qui lui-même est remplacé (en mai) au Musée d’Orsay par Sylvain Amic, ancien directeur des musées de Rouen. À la même époque (en avril), Gilles Pécout prend la présidence de la Bibliothèque nationale de France tandis que la danseuse et chorégraphe franco-espagnole Blanca Li entre au conseil d’administration de la Grande Halle de la Villette puis s’en voit confier la présidence. Toujours en France, les mandats de Chiara Parisi et de Cécile Debray sont respectivement renouvelés au Centre Pompidou-Metz (en octobre) et au Musée national Picasso-Paris (en novembre). Nettement moins connu en France est le nouveau commissaire européen chargé de la culture dans l’équipe d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission. Annoncée en juillet, la nomination du Maltais Glenn Micallef a été approuvée le 27 novembre par le Parlement européen. Le poste de directeur du Palais Galliera-Musée de la mode de Paris sera disponible en avril 2025 lorsque sa titulaire actuelle, Miren Arzalluz, rejoindra la direction du Guggenheim Bilbao (Espagne).

Jean-Christophe Castelain
26 juillet • Le Grand Palais enchante les JO

Paris. Ce fut l’un des temps forts de la cérémonie d’ouverture de JO et assurément une immense opportunité pour le Grand Palais : la chanteuse lyrique Axelle Saint-Cirel interprétant (sous la pluie) La Marseillaise sur le toit de l’édifice, ou plus exactement au-dessus de la grande verrière. La RMN (Réunion des musées nationaux), qui gère les lieux, a mené une course contre la montre pour rendre disponibles à temps la grande nef et ses abords directs au comité d’organisation et aux épreuves d’escrime et de taekwondo. Fermé depuis 2021, l’édifice construit pour l’Expo universelle de 1900 a fait bonne figure alors que de nombreux espaces étaient encore en travaux et le sont toujours à cette heure. Il a bénéficié d’une réfection de la verrière, du ravalement des façades, d’une consolidation des mezzanines, d’une mise aux normes des fluides, de nouvelles facilité de déchargement et de la mise en place d’une climatisation. Celle-ci a cependant montré ses limites lors du retour des grands salons à l’automne. Il faisait parfois un peu chaud pendant la foire d’art contemporain Art Basel Paris, qui s’est tenue en octobre (qu’en sera-t-il en plein été ?), et franchement froid durant la foire d’antiquaires FAB en novembre. C’est en juin 2025 que le Grand Palais donnera sa pleine mesure avec la réouverture d’un Palais de la découverte rénové, de nouveaux espaces d’accueil et de circulation, et l’inauguration des expositions du Centre Pompidou dans les anciennes Galeries nationales. En attendant, la grande nef accueille cet hiver une immense patinoire.

Jean-Christophe Castelain
26 juillet • L’art sous le signe des Jeux olympiques

France. Cet été, l’ambiance était à la fête dans les rues comme dans les gradins, alors que Paris accueillait les Jeux olympiques et paralympiques 2024. Une effervescence qui s’est aussi reflétée dans le monde des arts. Dans le cadre de l’Olympiade culturelle organisée par le Comité international olympique, plus de 2 000 projets ont fleuri en amont et pendant le lancement des Jeux, et ce jusqu’au mois de septembre. Concerts, spectacles, projections et performances faisant dialoguer sport et culture se sont multipliés un peu partout en France. Et les musées n’ont pas été en reste : un grand nombre d’expositions ont célébré le thème du sport en général ou des Jeux en particulier, à l’instar du Louvre qui est revenu sur la renaissance en 1896 de ces épreuves mythiques. Le Petit Palais a retracé la représentation du corps du sportif depuis l’Antiquité [« Le corps en mouvement », voir ill.], tandis que la Cité de l’architecture et du patrimoine s’est concentrée sur l’essor des stades en France depuis la fin du XIXe siècle. Parmi les expositions les plus réussies, celle du Musée du Luxembourg a souligné avec originalité le rôle du design dans les innovations technologiques du monde du sport. Cette riche programmation muséale ne s’est pas cantonnée à la capitale : exposition sur la place des femmes dans les épreuves sportives au Musée national du sport à Nice, célébration de la figure du lutteur au Musée Courbet à Ornans (Doubs), « Art et sport » fédérant 13 expositions d’œuvres des collections des Frac (Fonds régionaux d’art contemporain) dans des lieux sportifs de 13 régions de France… Autant d’événements qui ont grandement contribué au dynamisme culturel de l’année 2024.

Marion Krauze
5 novembre • Donald Trump élu à la présidence des États-Unis

Washington. La mobilisation de vedettes de la pop ou du cinéma n’auront pas suffi : la candidate démocrate Kamala Harris a échoué face à Donald Trump (Parti républicain) qui a remporté la présidentielle américaine, prenant même le contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants, tandis que nombre de juges à la Cour suprême lui doivent leur nomination. Autant dire qu’il aura tous les pouvoirs et que son arrivée en janvier à la Maison Blanche suscite de nombreuses craintes partout dans le monde. Le milieu culturel est lui aussi en émoi, craignant que le président élu ne restreigne les visas d’entrée aux États-Unis, ne coupe les vivres au NEA (le National Endowment for the Arts, l’agence fédérale qui finance [à la marge] la culture aux États-Unis), ou, plus insidieusement, n’incite ses partisans, majoritaires parmi les électeurs, à promouvoir une culture ultraconservatrice. Mais si son arrivée au pouvoir ne fait pas les affaires de nombreuses capitales dans le monde, le milieu économique d’outre-Atlantique se réjouit des baisses d’impôts annoncées et du relèvement des tarifs douaniers, ce qui devrait doper le marché de l’art new-yorkais… au détriment des autres places de marché que sont Shanghaï, Londres et Paris.

Jean-Christophe Castelain
19 novembre • Les ventes de New York confirment une année morose

New York. La chute de 40 % par rapport à 2023 du montant des adjudications des grandes ventes d’art impressionniste, moderne et contemporain chez Christie’s, Sotheby’s et Phillips à New York sonne le glas d’une année qui avait très mal commencé. La maison de ventes de la famille Pinault a enregistré une baisse de 22 % de son produit d’adjudication au premier semestre tandis que celle de Patrick Drahi fait pire : – 25 %. Or, à elles seules ces deux maisons de ventes pèsent presque un quart du marché de l’art mondial. Et ce ne sont pas les ventes de maîtres anciens à Londres en décembre qui vont permettre d’inverser la courbe : elles baissent de 8 % [lire p.30]. Sachant que les ventes publiques contribuent pour près de la moitié à un marché de l’art estimé globalement l’an dernier à 65 milliards de dollars par l’économiste Clare McAndrew, de telles mauvaises performances ne laissent rien augurer de bon pour les ventes en galeries et dans les foires. Comme d’habitude, l’omerta règne sur les résultats dans ce secteur et on en est réduit à décrypter les bilans communiqués par les foires. Quand Art Basel Paris annonce près de 300 ventes, dont une dizaine au-dessus du million d’euros, FAB Paris ne communique qu’une dizaine de ventes (avec des prix dits « affichés ») et Art Paris n’indique, elle, aucune transaction, contrairement à son communiqué de l’an dernier.

Le marché de l’art avait déjà baissé de 4 % en 2023 selon le rapport Art Basel et UBS, on peut s’attendre à une baisse peut-être plus importante pour 2024.

Jean-Christophe Castelain
8 décembre • Chute de Bachar Al-Assad en Syrie

Syrie, Gaza, Liban. Après une offensive fulgurante, les rebelles dominés par le mouvement Hayat Tahrir Al-cham, une ancienne branche d’Al-Qaida, prennent le pouvoir à Damas, la capitale de la Syrie, mettant fin à des décennies de dictature. Ce faisant, ils ont rebattu considérablement les cartes dans la région, où Israël a poursuivi toute l’année sa guerre contre Gaza et frappé le Hezbollah au Liban d’octobre à novembre. À Gaza, l’Unesco et les archéologues français de l’École biblique de Jérusalem ont annoncé que plusieurs sites ont été partiellement détruits, dont le port romain d’Anthédon et le monastère Saint-Hilarion (inscrit au patrimoine mondial). De nombreux bâtiments de l’époque ottomane ainsi que des églises paléochrétiennes ont aussi été touchés. En juillet, l’Unesco a placé trois sites sur la Liste des biens en péril parmi lesquels le monastère Saint-Hilarion, mais cela fut peu suivi d’effets. Une étude conjointe de chercheurs britanniques et du Département des antiquités et du patrimoine culturel palestinien estimait en novembre que plus de 50 % des sites culturels de la bande de Gaza avaient subi des dommages depuis le 8 octobre 2023, début des bombardements qui ont fait près de 45 000 morts à ce jour sur ce territoire.

Au Liban, la situation du patrimoine est préoccupante mais les bombardements d’octobre et novembre n’ont touché qu’à la marge les sites culturels. Un souk médiéval à Tyr semble avoir été touché ainsi que des bâtiments d’époque ottomane dans plusieurs villes. À la demande des autorités libanaises, l’Unesco a organisé une réunion fin novembre pour accorder à 34 biens culturels une protection renforcée, tout en appelant au respect de la Convention de La Haye (1954).

Olympe Lemut

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : 2024, Les temps forts

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